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et la force. Est-ce qu’il y aurait de la justice ou de la prévoyance à faire comme si elles n’existaient pas, à ne tenir compte dans la politique ni des vœux, ni des traditions, ni des croyances, lii des intérêts qu’elles représentent ?

À procéder avec cet esprit d’exclusion et d’infatuation, on ferait tout simplement acte de secte dans les affaires religieuses, acte de despotisme dans les affaires politiques. Si le droit d’un parti victorieux allait jusque-là, quelle différence y aurait-il pour de simples citoyens entre l’omnipotence d’une majorité et l’absolutisme d’un prince ou d’un dictateur ? Le résultat serait le même. Ce serait la tyrannie d’un parti au lieu d’être la tyrannie d’un maître unique. Ce serait toujours l’exclusion et l’oppression des minorités dispersées à la surface de la France. — M. Gambetta, dans la phase nouvelle où il est entré par son discours du Neubourg, voit bien ou a bien l’air de voir quelque chose de tout cela, lorsque, cherchant à lire sur « cette carte électorale si découpée, si tronçonnée, » à laquelle il fait allusion, il parle des « intérêts rivaux dans le pays, des variétés de mœurs depuis le nord jusqu’aux rives de la Méditerranée et de l’est à l’ouest… » Il semble bien, à travers les fumées du triomphe, entrevoir un peu de vérité, lorsqu’il dit : « Vous avez vu que pendant que la France était transportée du même mouvement pour assurer le succès de l’idée la plus complète, la plus rationnelle, il y avait des points dans cette même France qui, au contraire, semblaient résister à ce même mouvement. » Et dans ce fait justement observé il voit une « indication, » qu’il ne faut pas négliger, un conseil de modération. Rien de mieux. Seulement M. Gambetta s’arrête à mi-chemin, ou il est encore la dupe d’une illusion, quand il réduit tout à une affaire de temporisation et de méthode, quand il se figure qu’il suffira d’aller moins vite, de procéder avec une certaine diplomatie, pour user les résistances, et réussir là où les républicains des autres époques ont échoué. Ce n’est pas seulement une question de méthode, ou du moins la modération plus ou moins habile de la méthode ne suffirait pas sans la modération des idées. Puisque M. Gambetta s’est mis en route, ce qu’il a de mieux à faire, c’est d’aller jusqu’au bout, de prendre les derniers scrutins pour ce qu’ils sont, pour un succès, mais aussi pour un avertissement, de reconnaître que la seule politique à dégager des élections est celle qui consiste à respecter les minorités dans leurs droits, à mettre la majorité en garde contre ses propres entraînemens, à concilier la république avec des croyances et des intérêts toujours puissans en France.

Qu’un certain courage soit nécessaire pour résister, non-seulement à des passions extrêmes de radicalisme, mais encore à de vieux préjugés républicains, nous ne l’ignorons pas. À vouloir garder l’indépendance dans la mesure, on risque parfois sa réélection quand on est député. Il est certain que le suffrage universel est un souverain plein