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entre tous ces programmes de fantaisie ou de circonstance et les sentimens réels du pays.

S’il y a une chose évidente, en effet, c’est que le pays, dans son ensemble, est à peu près indifférent pour tous les programmes qu’on représente comme l’expression de son opinion. Il n’a seulement pas songé un instant à cette révision de la constitution dont les esprits remuans se sont épris tout à coup, et ce qui est vrai de la révision constitutionnelle ne l’est guère moins de tout le reste. Où a-t-on vu, en dehors des cercles où se fabriquent les programmes, le signe d’une passion un peu vive, à demi sérieuse, pour ces révolutions de la magistrature pour ces guerres de secte qu’on promet de continuer dans l’enseignement comme dans les affaires religieuses, pour toute cette politique d’agitation et de réformes universelles ? La vérité est que, depuis longtemps, la France en votant pour la république est infiniment plus calme, plus modérée que ceux qui prétendent la conduire au nom de la république. Et M. Gambetta, qui est après tout un politique habile à observer l’opinion, a bien dû saisir cette disposition générale du pays, puisqu’il croit utile d’en tenir compte dans ses récens voyages du lendemain du scrutin, dans ces nouveaux discours par lesquels il continue sa campagne. Élu laborieusement le 21 août à Belleville, vaincu aux ballottages du 4 septembre dans la personne du candidat qu’il avait laissé pour le remplacer à Charonne, passablement secoué dans la bourrasque électorale, M. le président de la chambre des députés prend sa revanche à Évreux, à Honfleur, surtout au Neubourg, où il est allé assister à l’inauguration de la statue du vieux Dupont (de l’Eure). M. Gambetta, on peut le croire, se sent plus à l’aise au Neubourg qu’à Belleville. Il a retrouvé les ovations sur son chemin, et il multiplie les discours où de tribun véhément, il s’essaie à devenir modéré, presque conservateur. Ce n’est plus tout à fait le langage de l’Élysée-Ménilmontant. Nous ne prétendons pas que M. le président de la chambre ait changé d’idées et d’opinions depuis quelques semaines, que, dans sa marche vers le pouvoir, il ait laissé en route une partie de la politique qu’il proposait à ses électeurs avant le scrutin. Il n’est pas moins clair qu’il s’est un peu calmé, qu’il semble être redevenu tout à coup un autre orateur, un autre politique.

C’est merveille de l’entendre aujourd’hui prodiguer les conseils de prudence à ceux qu’il a enflammés de sa parole. On doit bien l’en croire, puisqu’il l’a dit ces jours passés au Neubourg et à Évreux, puisqu’il a cru devoir donner une certaine solennité à cette dernière consultation. Il ne s’agit pas, dans la politique qu’il prétend suivre, de tout tenter à la fois, de prendre trop à la lettre tous les programmes d’élections. À vouloir aborder trop de problèmes, on risquerait « d’aboutir à l’impuissance, à la division, à la confusion et à la lassitude du pays. Oh ! sans doute, on ne doit pas reculer, et surtout avoir l’air de recu-