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si elle donnait le temps de se reconnaître, de dégager le sens vrai de ces élections, de comprendre enfin qu’on ne fait pas de la politique avec des programmes trompeurs et des représailles de parti.

Non, en vérité, ce ne serait pas du temps perdu si, avant d’aborder une législature nouvelle, destinée sans doute à être décisive pour la république, on s’étudiait à démêler ce que cette grande masse anonyme de la nation a voulu et ce qu’elle n’a pas voulu. C’est le malheur de ces combats d’opinion livrés autour d’un scrutin, de devenir l’occasion ou le prétexte d’une sorte d’émulation de violence, de prêter aux exagérations. Des comités, qui le plus souvent se nomment eux-mêmes, s’arrogent un droit de direction et tracent des programmes, où ils inscrivent tout ce qu’ils ont recueilli dans des polémiques passionnées ou banales, qui sont censés aussitôt être l’expression de l’opinion d’un parti, d’une région électorale. On est candidat, on souscrit à ces programmes sans s’inquiéter de ce qu’ils contiennent de chimérique, d’excessif ou de puéril, on ne veut pas se laisser dépasser et paraître marchander les réformes républicaines. On accepte tout, et en définitive, le lendemain, lorsqu’on a la victoire, on s’aperçoit que tous ces programmes qui survivent à la lutte, qui se sont multipliés à l’infini, qui parlent à tout propos de réformes, ne répondent ni aux vœux ni aux besoins réels du pays. Ce n’est point sans doute que, dans certaines conditions, une politique réformatrice ne puisse être aussi utile qu’opportune et que des esprits libres aient à en désavouer la pensée ; mais évidemment il y a réformes et réformes. Il y a les réformes vraies, pratiques, sérieuses, qui seraient un bienfait pour le pays ; il y a aussi les prétendues réformes qui ne sont qu’un artifice de parti, un moyen d’agitation, une fantaisie de bouleversement sous une apparence de démocratie. Préparer avec maturité une réorganisation judiciaire assurant à tous une justice intègre, indépendante, moins compliquée et moins onéreuse, remettre l’ordre dans un état militaire dont les événemens d’Afrique ont fait éclater les incohérences et les faiblesses, ramener l’économie dans les finances, en préparant les dégrèvemens possibles, en ménageant le crédit, simplifier une administration viciée par toutes les traditions discrétionnaires, oui, certes, on le peut : ce serait de la politique réformatrice dans le vrai sens, pour le bien public. Commencer, au contraire, par mettre la constitution en doute par une menace de révision, rechercher une vulgaire popularité en promettant des réductions de service militaire, qui ne feraient qu’ajouter à la confusion, agiter toutes ces questions délicates de réorganisation judiciaire pour arriver à des déplacemens de magistrats, dans un intérêt de parti, avoir pour tout secret financier l’impôt sur le revenu ou l’emprunt en permanence, proposer tout cela bruyamment, non, ce n’est plus de la politique réformatrice : c’est de la politique d’agitation factice, et c’est là justement qu’éclate la disproportion