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monnaie d’or, comme l’Angleterre; d’autres, la monnaie d’argent, comme l’Inde; d’autres enfin, la France est du nombre, transformaient naguère encore les lingots, de quelque part qu’on les apportât, en pièces d’or ou en pièces d’argent de valeur fixée par la loi. Ce double étalon, cet emploi simultané de deux monnaies également libératoires, comme il vaut autant dire, car on n’a pas réussi, malgré de grands efforts, à établir une distinction intelligible entre les deux idées, est contraire aux principes de l’économie politique.

« L’économie politique, écrivait en 1867 un publiciste dont l’autorité était grande, démontre avec une rigueur égale à celle dont se vantent à bon droit les mathématiciens, qu’il ne peut y avoir dans la monnaie d’un état qu’un seul étalon. »

Si la proposition, énoncée déjà en 1808 par lord Liverpool et depuis près de deux siècles par William Petty, Locke et Harris avait la certitude que, forcé par la démonstration, on ne peut refuser aux vérités géométriques, on serait aujourd’hui d’accord ; car, si c’est une entreprise difficile d’amener les autres à nos sentimens et à nos goûts, c’en est une très aisée, en restant dans le cercle étroit d’une question nettement posée, de mettre les preuves dans leur jour pour en dégager l’évidence.

L’usage simultané des deux métaux, l’or et l’argent, comme monnaie légale et libératoire, présente des inconvéniens et des dangers attestés par la dédaigneuse assurance de ses savans adversaires. Il a aussi ses avantages; la conviction persistante et la verve de ses défenseurs permet difficilement de le nier. Le plus grand de tous frappe les yeux : les deux métaux acceptés pour monnaie dans le monde entier étaient hier encore chez de grandes nations sur un pied de complète égalité. La France, depuis trois quarts de siècle, s’en servait sans dommage et sans gêne, et tout changement brusque est un mal.

Ces inconvéniens et ces avantages, énumérés avec complaisance, défendus avec chaleur, exagérés avec passion, dans toutes les langues, ne sont pas de nature homogène : comment les comparer avec précision ? Est-il sage de racheter par des difficultés immédiates et de ruineuses dépenses des dangers incertains entrevus dans l’avenir? Vaut-il mieux, si le maintien des prix est impossible, se résigner au renchérissement des denrées dont tant de gens souffrent et se plaignent, ou procurer avec une baisse générale l’appauvrissement de tous les producteurs?

Les économistes hésitent rarement, mais ils se partagent. Ils ont tout discuté, porté la lumière sur tous les points, aucun n’est inaccessible, un esprit attentif peut en s’y appliquant pénétrer sans étude préalable tous les détails de la question, traduire les raisonnemens