Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/450

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avoue, plus souvent que d’histoire toujours authentique, détails de costume et d’ameublement, que leur insignifiance eût écartés d’un récit de mœurs contemporaines, détails vulgaires ou grossiers, que l’on ne supportait jadis qu’autant qu’ils avaient reçu de l’histoire une consécration de dignité, pour ne pas dire presque de poésie, se sont l’un après l’autre glissés dans la trame du récit. Tel se fût presque indigné de rencontrer des toucheurs de bœufs dans un roman de mœurs contemporaines, qui comprenait que, pour écrire Ivanhoe, Walter Scott mît en scène ses porchers saxons. On eût trouvé premièrement inutiles, et secondement du plus mauvais goût, ces descriptions aujourd’hui si fréquentes d’assommoirs, de bouges, et autres mauvais lieux, mais on ne s’étonnait pas outre mesure que Victor Hugo, dramatisant le Paris du moyen âge, y décrivît plus que copieusement la population de la cour des Miracles. C’est que l’on se rendait compte, ou si vous l’aimez mieux, c’est que l’on sentait instinctivement que la valeur du roman historique dépendait tout entière d’une reconstitution des personnages par l’intermédiaire de ce fameux milieu. Otez le milieu, plus de roman historique : mais posez le milieu, vous créez le roman historique. C’est ce qui permettra peut-être à M. Zola de comprendre l’admiration très sincère que Balzac a professée pour Walter Scott. « Il est très curieux de voir le fondateur du roman naturaliste, l’auteur de la Cousine Bette et du Père Goriot, se passionner ainsi pour l’écrivain bourgeois qui a traité l’histoire en romance. » Non ! beaucoup moins curieux qu’il ne semble à M. Zola. C’est que, dans le roman de Walter Scott, par-dessous le décor historique, Balzac, sans doute, a vu ce que tout le monde y voit, le roman de mœurs qui tissait insensiblement sa trame, dans les filets de laquelle il allait bientôt envelopper toutes les classes de la société. Mais l’œil de M. Zola n’est décidément sensible qu’aux couleurs crues, — rouge écarlate, vert pomme, jaune serin ; — il prend Stendhal pour un psychologue, Frédéric Soulié pour un idéaliste, et ce qui l’étonné le plus dans la Correspondance de Balzac, c’est que Balzac fasse une différence entre l’auteur des Trois Mousquetaires et l’auteur des Puritains d’Ecosse. En effet, est-ce qu’ils ne font pas tous les deux du roman historique, et que faut-il davantage ?

Si M. Zola n’a pas vu pour quelle part le roman historique avait contribué à l’élargissement du roman de mœurs, il n’a pas vu non plus pour quelle autre part y avait contribué le roman de George Sand. Je ne voudrais rien exagérer. Au sens où M. Zola prend le mot de naturalisme, il n’y a rien de moins naturaliste que les romans de George Sand. Et cependant, pour ne toucher ici qu’un seul point, n’est-il pas vrai que c’est de l’apparition de Valentine et de Jacques que date l’introduction des questions sociales dans le cercle du roman? Pourquoi M. Zola, quand il nous parle « d’aventures qui ne se seraient