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la formule. » Acceptons-le provisoirement pour tel. Il faut bien prendre ce que M. Zola nous donne, sauf à montrer qu’il ne nous donne pas ce que son titre nous promettait.

Le livre, bien entendu, n’est pas mieux composé que ne le sont d’ordinaire les romans de l’école. C’est ici un morceau de pensée, comme les romans de M. Zola, selon l’expression dont il a lui-même enrichi la langue, sont un morceau de rue. J’ajoute que, si la brosse de M. Zola, vigoureuse et puissante, est habile à peindre le morceau de rue ; sa plume, très hésitante, — sous son apparence de précision brutale, — et très maladroite, est prodigieusement inhabile à traduire le morceau de pensée. J’en ai déjà plus d’une fois cité de mémorables exemples. Il pourra donc aujourd’hui suffire d’un seul, pourvu qu’il soit topique. C’est quelque part où M. Zola se défend, avec plus de bonne volonté que de succès, on va le voir, de toute accusation d’orgueil ou de vanité. Moi! s’écrie-t-il, orgueilleux! moi, Zola, crevant de vanité! — le mot est de lui, je n’ai pas besoin de le dire; — moi, convaincu de ma propre valeur ! « J’ai trop de sens critique ! » Il a trop de sens critique! Notez que le sens critique est tout justement ce qui lui manque le plus. Ses vues sont courtes, sa judiciaire est chancelante, il n’a ni le sentiment de la nuance, ni le sentiment de la mesure, et même, lorsqu’il veut affecter l’impartialité, c’est en vain, il a beau faire, il ne saisit jamais qu’un seul aspect des choses. Il n’en écrit pas moins bravement : «J’ai trop de sens critique, » c’est-à-dire, il ne se pique que de voir toujours parfaitement clair, que de raisonner toujours parfaitement droit, que de conclure toujours parfaitement juste, rien de plus ; et c’est ce qu’il a trouvé de mieux pour écarter de lui cette accusation d’orgueil que j’eusse, à sa place, très aisément acceptée, mais surtout sans mot dire. Car il y gagnait deux choses : l’une de ne pas laisser voir comme en effet le reproche, puisque reproche il y a, tombait sur lui, droit et d’aplomb, et l’autre, de ne pas faire preuve, avec toutes ses prétentions au style, d’une fâcheuse ignorance de la propriété des termes de la langue.

Veut-il peut-être qu’on lui fournisse la meilleure justification qu’il pût produire? C’est qu’il se mêle à son orgueil une bonne dose de naïveté. M. Zola ne se fâchera pas, ou du moins je l’espère. Il aime, — sans se douter qu’il a ce trait de commun avec Boileau, — que les choses soient nommées par leur nom. Et puis, il ne se gêne vraiment pas assez quand il parle des autres pour que nous soyons tenus, si nous parlons de lui, d’envelopper notre façon de penser dans les circonlocutions d’usage. On n’a pas oublié le jour que, critiquant, avec autant d’injustice que de justesse, un poème récent de Victor Hugo, — c’était l’Ane, — et s’acharnant sur je ne sais quel vers où le nom de Niebuhr se trouvait inscrit, il s’en allait, demandant aux échos d’alentour :