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qu’une minute, répétez-lui bien que tous les joies de ma vie depuis des années je les ai dues à elle seule, et que si la destinée m’inflige le supplice de vieillir, son souvenir sera jeune en moi jusqu’à la fin. Cette nuit même, la fièvre quitta Nellie, mais une telle prostration s’ensuivit que les médecins jugèrent peu probable qu’elle passât la journée. Son intelligence s’était éclaircie, elle était calme et demanda Wilfred. À sa vue, elle eut un sourire d’une sérénité angélique. Il se mit à genoux pour baiser la petite main décharnée qu’elle lui tendait. Tout son corps était secoué par des sanglots : — Ne me pleurez pas, mon amour, dit-elle tout bas. Le chagrin est passé. La paix est revenue… Songez que j’ai craint de mourir tandis que vous seriez en mer… Maintenant je ne souffre plus, je vous sais en sûreté pour toujours, et je m’en vais au ciel.

— Pardonne-moi, Nellie ; dis que tu me pardonnes quoique je ne doive, moi, me pardonner jamais.

— Tu n’es point coupable, répondit-elle doucement. Je n’ai pas su être la femme qu’il te fallait et si j’étais condamnée à vivre, je ne serais jamais heureuse, vois-tu, ayant une fois compris cela. Ma mort te délivre du mal… Dieu soit loué qui la permet !.. Ah ! mon Wilfred, je ne pourrai t’aimer dans le ciel plus que je ne t’ai aimé sur la terre, mais là-haut, peu importera mon insuffisance. — Sa tête retomba sur l’oreiller, puis elle ajouta faiblement : — Appelez miss Brabazon.

Sylvia entra, et Nellie lui fit signe de s’agenouiller de l’autre côté du lit.

— Priez pour moi et pour lui, dit-elle.

Sylvia, affermissant sa voix, prononça une courte prière. Les yeux de la mourante étaient fixés sur le ciel pâle du matin et ses lèvres s’agitaient, mais sans proférer aucun son. Après un silence, elle se souleva d’un soudain effort, et, les regardant l’un après l’autre, réunit leurs mains dans les siennes :

— Je vous le confie, dit-elle à Sylvia. Soyez son bon ange. Prenez-le sous votre garde.

Ce furent ses dernières paroles. Une heure après, cette âme si pure quittait le monde où elle avait souffert, pour un autre monde où les méchans cessent de nuire et où les cœurs fatigués trouvent le repos.


Hamilton Aïdé.
Traduction de Th. Bentzon.