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prétextes à opposer au conseil intime de sa conscience, qui lui prescrivait de partir. Nellie ne fit rien pour l’éloigner, au contraire; elle prenait plaisir à la société de cet excellent ami dont le seul tort envers elle avait été de ceux que les femmes ne jugeront jamais impardonnables. Il évitait d’ailleurs avec tant de soin de jamais revenir sur ce point délicat du passé, elle avait de si bonnes raisons pour croire à sa loyauté absolue ! Avec lui, elle pouvait causer de tout, interroger, discuter même, ce qu’elle n’eût jamais osé faire avec son mari. Wilfred cependant aimait la discussion ; il ne craignait rien tant au contraire que l’indifférence ou la désapprobation silencieuse. Une des questions qui le firent divaguer éloquemment à cette époque fut celle qu’il intitulait: l’Esclavage domestique. Elle lui inspira une pièce de vers contre la servitude qui passa dans certains cercles pour le chef-d’œuvre de la muse philanthropique.

— Mon pauvre fils est fou tout de bon, dit, après l’avoir lue, lady Athelstone douairière, en la passant à son ami l’évêque d’Oporto.

— Mon Dieu ! repartit celui-ci, toujours fidèle à son rôle de conciliateur, il n’y a pas grand mal à soutenir que les serviteurs ne sont pas suffisamment considérés, que le pacte entre eux et leurs maîtres n’est pas uniquement un pacte d’argent, que nous devenons responsables jusqu’à un certain point de leurs actes et de leur avenir quand ils sont une fois entrés dans notre maison. Tenez compte de la licence poétique, ma chère lady. Un peu fougueuse peut-être, cette tirade, mais d’une grande générosité au fond.

— Hélas! vous ne savez pas, mylord?.. mon malheureux fils s’efforce de mettre ses théories en pratique. Si la femme de charge d’Athelstone ne gardait pas les bonnes traditions, la maison s’en irait à la dérive, grâce aux étranges fantaisies de Wilfred, qui voudrait retourner, comme il dit, aux coutumes des ancêtres, jusqu’à faire dîner les domestiques au bout de la table ! Ce petit drôle de Lorenzo est un bel échantillon du système égalitaire. On lui laisse la liberté d’être paresseux à sa guise et de s’élever au-dessus des devoirs communs à ceux de son espèce, qui consistent à cirer les bottes et à brosser les habits. Il ne fait du matin au soir qu’espionner, bavarder, fumer des cigarettes. Et savez-vous quelle femme de chambre Wilfred a donnée à sa femme, toujours par grandeur d’âme? Une échappée de maison de correction, qui lui a été recommandée comme une Madeleine par je ne sais quelle intrigante !

L’intrigante en question, nommée Mme Whiteside, s’occupait activement à revendiquer les droits de la femme et à combattre les préjugés en général. Rien ne rebutait son zèle; avec une audace incroyable, elle abordait les thèmes les plus scabreux et allait porter dans des lieux suspects l’espoir de la réhabilitation. Riche, éprise