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Wilfred, cependant, ne se trouvait nullement à plaindre; quant à Nellie, elle était insensible à tout, sauf au bonheur d’avoir à elle pour jamais celui qu’elle avait aimé si longtemps sans espoir: peu lui importaient les menues humiliations qu’elle éprouvait du dehors. Elle sentait bien de temps à autre que sa position à l’égard des anciens compagnons de son enfance était délicate, elle pouvait déplorer, quand une raillerie de Wilfred la forçait à s’en apercevoir, l’attitude froide ou hostile de quelques-uns de ceux qui avaient été auparavant les amis de son mari, mais le seul chagrin véritable qu’elle éprouvât était cette brouille avec sa belle-mère et elle parvint bientôt à la faire cesser en conjurant Wilfred d’inviter avec instances la douairière. Celle-ci n’attendait qu’une démarche respectueuse pour se laisser fléchir. Elle s’efforça d’oublier le passé et suivit les sages conseils de l’évêque d’Oporto, qui lui avait dit: — Ce qui est fait est fait ; tirez-en le meilleur parti possible. — Deux ou trois jours après son arrivée, elle sermonnait Nellie : — N’encouragez donc pas votre mari à rester toujours cousu à vos jupes, ma chère. Qu’il s’acquitte des devoirs de son état; autrement on dira que c’est votre faute. Cette maison n’a pas été ouverte depuis la mort de son pauvre père, et il importe qu’elle le soit. Au lieu de décourager les visites, il ferait bien de fournir aux meilleures familles des environs l’occasion de vous voir. Poussez-le aussi à Londres; ses intérêts bien entendus exigent qu’il y soit dès l’ouverture de la session. C’est facile, vos couches devant avoir lieu au mois de mars. Wilfred, une fois lancé dans la vie politique, se mêlera au monde et peu à peu sa manière de voir changera, il perdra ce goût pervers pour le suffrage universel, l’égalité, que sais-je? Vous ferez votre possible, j’espère, pour le conduire à respecter les institutions.

Il y avait une institution en tout cas que Nellie s’efforçait de faire respecter à son mari, c’était l’église. Quand Wilfred s’insurgeait sous ce rapport, un coup d’œil suppliant de sa jeune épouse l’arrêtait presque toujours, car l’espérance d’être bientôt père le rendait plus désireux encore d’épargner à Nellie l’ombre d’une peine. Mais cette affection creusait-elle dans son cœur un lit profond duquel rien ne pourrait la détourner, ou bien n’était-ce qu’un mince ruisseau coulant à la surface et reflétant sur son passage des rives fleuries, quitte à se perdre et tarir bien vite? Lady Athelstone inclinait à croire que Nellie n’avait sur son mari, dès ces premiers jours, aucun ascendant réel. Il satisfaisait tous ses désirs, sans doute, lorsqu’elle les exprimait, ce qui était rare ; mais quant à deviner ce qui se passait en elle, quant à ressentir l’effet de ce magnétisme souverain qui peut exister entre deux êtres unis par l’amour malgré toutes les circonstances