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l’absence, ou, si vous l’aimez mieux, la perversion du sens patriotique. Sauf des outrages, vous n’y trouveriez pas un mot de notre pays avant la révolution, de sa formation territoriale et de sa merveilleuse croissance au moyen âge, de son éclat aux XVIe et XVIIe siècles, de son rôle dans le monde, de son histoire enfin. La France désormais commence aux états-généraux, la gloire au 14 juillet, le courage avec Agricole Viala, et, dans la nation, le peuple seul compte, seul il a tous les mérites et toutes les vertus. Si bien qu’étranger déjà à la notion de la divinité et aux sentimens de ses devoirs envers elle, l’enfant ne connaîtra plus, au sortir de l’école, qu’un coin de la patrie, n’en emportera qu’une image réduite et singulièrement rapetissée.


III.

Qu’un pareil enseignement eût réussi, on se figure aisément ce qu’il eût fait de l’esprit français, à quel point il l’eût rétréci et rabaissé. Trois choses essentielles, heureusement, lui manquèrent : des bâtimens, des maîtres et des élèves.

Des bâtimens : le législateur de l’an IV avait bien, on l’a vu, senti la nécessité de fournir aux instituteurs primaires « un local, tant pour leur servir de logement que pour recevoir les élèves pendant la durée des leçons » » Il leur avait même accordé la jouissance éventuelle des jardins qui pourraient être attenans à ces locaux. Mais sur ce point comme sur bien d’autres, les prescriptions de la loi restèrent sans effet. Sans compter le mauvais vouloir ou l’apathie des pouvoirs locaux, elles eurent à lutter dans beaucoup de communes contre des impossibilités matérielles. Ici la maison d’école avait été vendue comme faisant partie des biens d’une corporation religieuse ou d’une fabrique ; là le presbytère, qui en aurait dû tenir lieu, avait été aliéné. Dès le commencement de l’an III, la commission exécutive de l’instruction publique signalait ce danger au comité de salut public, dans un rapport dont la minute existe aux archives.

« Le renchérissement progressif des denrées, lisons-nous dans ce document, a rendu le traitement des instituteurs presque nul relativement à l’étendue de leurs besoins et au peu de ressources que les campagnes offrent pour l’existence de celui qui n’a que des assignats. Lue seule disposition de la loi (celle du 27 brumaire an III) paraissait propre à encourager ceux qui voulaient se livrer aux fonctions pénibles d’instituteurs, c’était la jouissance du logement qui leur était assuré dans les presbytères, et surtout l’espérance d’y joindre une petite portion de jardin. Mais à peine la loi