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mœurs étaient contre lui. En effet, proscrire l’enseignement religieux, ce n’était pas seulement blesser dans leurs convictions la grande majorité des Français, c’était aller à l’encontre d’habitudes et de pratiques invétérées. On a pu, de nos jours, considérer cet enseignement comme un accessoire et réduire beaucoup la place qu’il tenait dans les études. À l’époque de la révolution, c’en était encore le principal. Sauf de rares exceptions, on n’envoyait pas son fils à l’école pour qu’il apprît ses lettres et subsidiairement les commandemens de Dieu. On voulait avant tout qu’il fût mis en état de faire sa première communion. Nos pères ne voyaient guère au-delà ; ils croyaient beaucoup plus, dans leur innocence, à la vertu de l’évangile qu’à celle de l’instruction, et ne concevaient, n’admettaient même pas l’une sans l’autre. Il leur était aussi fort indifférent qu’il y eût dans le catéchisme quelques parties obscures et quelques définitions ardues ; ils s’en tenaient à l’ensemble, au fond de la doctrine et à l’admirable morale qui s’en dégage. Le reste leur échappait. Aussi fut-ce une grave erreur législative, une faute capitale au point de vue politique, que la suppression de l’enseignement religieux. Dans l’état de l’opinion, rien n’était plus propre à discréditer la nouvelle organisation des écoles. Elles avaient déjà contre elles, aux yeux de beaucoup de gens, le vice de leur origine. Quand on connut qu’on n’y ferait même plus dire aux enfans leur prière, elles furent jugées.

Encore si la loi s’était contentée de cette suppression, si elle n’avait pas imaginé d’y suppléer par une nouvelle morale de fabrique et de marque républicaines ! On conçoit déjà mal un système d’éducation exclusif de toute idée religieuse. Que penser d’une pédagogie fondée sur un certain état de la société, sur une manière d’être politique, relative à la nature et à la forme du gouvernement ! Évidemment cette pédagogie pécherait par la base, et vous chercheriez vainement un principe, un point fixe où la rattacher. Dirigée par les événemens, soumise à leurs fluctuations, réduite à les suivre dans leur mobilité, préoccupée d’intérêts purement humains, quelle suite et quelle méthode pourrait-elle apporter à sa tâche et d’où tirerait-elle sa doctrine ? Il est clair qu’elle ne la tirerait pas de son propre fonds, — la matière lui manquerait, — qu’elle serait dans la nécessité de l’emprunter, et naturellement, à l’état.

Telle la pédagogie du législateur de l’an IV. Me lui demandez ni quelle est sa philosophie ni quelle sa morale. Elle n’en a pas qui lui soient propres ; elle a celles que lui fournit le gouvernement. Or, considérez cette morale de provenance officielle et pesez-la, demandez-vous ce qu’elle embrasse et ce qu’elle contient. Le compte sera vite fait : de l’idée de Dieu, pas un mot ; de l’idée de la vie future et de l’immortalité de l’âme, rien ; des peines et des récompenses,