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La révolution ne se contenta pas de supprimer le fouet, malgré ses longs états de service : dans son respect exagéré de la personnalité humaine et de la liberté de conscience, elle imagina cette chose inouïe jusqu’à elle, un système d’éducation indépendant de tout dogme. En quoi sans doute elle était parfaitement conséquente. Ayant pris pour but l’affranchissement universel de l’espèce, elle ne pouvait guère admettre d’exception ; sa doctrine absolue n’en comportait pas et, de fait, elle n’en fit point, si ce n’est pour la femme. Après les protestans, les juifs, les nègres et les détenus de la Bastille ou de l’Abbaye, il lui parut qu’elle devait émanciper aussi l’enfant. Or, pour l’enfant, le maître, l’oppresseur, c’était Dieu. N’était-ce pas au nom de a cette hypothèse » que, dès le berceau, par le baptême, on lui confisquait son libre arbitre, et qu’un peu plus tard, on le soumettait à des pratiques qui parlaient à son cœur avant que sa raison fût éveillée : le signe de la croix, la prière, la messe ? Autant d’actes, autant d’engagemens qu’on lui faisait prendre avant qu’il fût en état de les discuter, et de liens dans lesquels on emprisonnait son esprit. De même et bien pis à l’école ; déjà déprimée dans la famille, asservie par elle à de vaines observances, l’intelligence de l’enfant était là par surcroît soumise au régime le mieux fait pour achever de l’atrophier. On ne lui demandait que des efforts de mémoire ; on négligeait absolument ses autres facultés. On lui faisait prendre l’habitude de balbutier des mots et d’exprimer des idées abstraites ou figurées sans les entendre : « Qu’est-ce que Dieu ? — Dieu est un pur esprit. » « Qu’est-ce que le mystère de la sainte trinité ? — Le mystère de la sainte trinité est le mystère d’un seul Dieu en trois personnes. » Quelle nourriture pour de jeunes esprits ! Et quelle force, quel profit pouvaient-ils en tirer ? Aucun, en vérité. C’était déjà l’opinion de Rousseau[1] dans l’Émile. « Toutes les réponses du catéchisme, disait-il, sont à contresens, c’est l’écolier qui instruit le maître ; elles sont même des mensonges dans la bouche des enfans, parce qu’ils expliquent ce qu’ils n’entendent point et qu’ils affirment ce qu’ils sont hors d’état de croire… Je voudrais qu’un homme qui connaîtrait bien la marche de l’esprit des enfans voulût faire pour eux un catéchisme. Ce serait peut-être le livre le plus utile qu’on ait jamais écrit. »

Ç’avait été de même, on l’a vu, la pensée de Condorcet et de tous les auteurs de plans et projets d’éducation qui étaient venus après lui. En condamnant le catéchisme, le législateur de l’an IV était donc à la fois dans la logique révolutionnaire et dans la tradition de ses prédécesseurs. Il s’en fallait malheureusement qu’il fût dans la mesure et dans la vérité. Si la logique lui donnait raison, les

  1. Émile, t. V.