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[1] de mander à leur barre les fonctionnaires publics et défendu les pétitions en nom collectif, les députations, les adresses, la publication de leurs débats et généralement tous actes politiques ; mais le premier soin de la convention avait été de les émanciper. Dès le mois de juin 1793, elle avait proclamé le droit d’association sans réserves ni restriction d’aucune sorte, en attendant qu’elle l’inscrivît dans la constitution. Un peu plus tard, en juillet, elle avait porté des peines énormes, — deux et cinq ans de fers, suivant les cas, — contre les fonctionnaires, les commandans de la force publique et même les simples particuliers « coupables d’avoir mis obstacle à la réunion d’une société populaire. » Dès lors et jusqu’au qu’au 9 thermidor, la « conquête jacobine » s’était poursuivie sans relâche : du centre elle avait gagné les extrémités, et pris, l’un après l’autre, à l’exception de ceux de l’Ouest, tous les départemens. Encore un peu et la prédiction de Camille Desmoulins se fût accomplie : « Le grand arbre planté par les Bretons aux Jacobins a poussé de toutes parts des racines qui lui promettent une durée éternelle[2]. »

La chute de Robespierre, heureusement, l’abattit. Il se produisit alors un véritable changement à vue : du jour au lendemain, spontanément, presque toutes les sociétés populaires s’évanouirent. À la rigueur, la convention aurait pu se dispenser de les frapper : bien avant le décret de dissolution du 6 fructidor, elles étaient rentrées sous terre. Le chef mort, les bandes avaient pris peur et s’étaient licenciées d’elles-mêmes. Rien de bas et de hideux comme cette panique, rien de plus édifiant surtout. Jamais, en aucun temps, la démagogie n’a mieux donné la mesure de sa vilenie. Il faut avoir lu, pour s’en faire une idée, ce qu’il nous reste à la Bibliothèque nationale de procès-verbaux de ces dernières séances. L’intensité de platitude et de couardise qui ressort de ces docu mens dépasse toute vraisemblance. Là, ce sont des injures au tyran tombé et à ses acolytes ; là, de lourdes adulations à « l’auguste, » à la « sublime » convention qui, « armée de la massue d’Hercule et de la tête de Méduse, » a pétrifié l’hydre du despotisme après l’avoir terrassée. Parfois, à cet encens grossier s’ajoute une autre fumée, celle des portraits de Robespierre et de Couthon qui brûlent[3]. Les dieux sont au feu et la société danse autour !

  1. Décrets du 29-30 septembre 1791.
  2. Camille Desmoulins, les Révolutions de France et de Brabant.
  3. Extrait des registres de la Société populaire d’Issoire :
    « Le bureau fait lecture des bulletins de la convention qui annoncent la découverte de la plus infâme conjuration ourdie par les traîtres Robespierre, Couthon, Saint-Just. La société applaudit unanimement au sage décret qui a délivré la patrie de ces traîtres et arrête une adresse de félicitations à la convention sur son énergie républicaine. Un membre observe que, dans l’erreur où était la société sur les manœuvres criminelles du scélérat Couthon et le croyant un ami du peuple, elle avait eu la faiblesse de lui écrire par le dernier courrier, pour lui demander son portrait ; il fait la proposition, en rétractant cette lettre, de témoigner de la manière la plus formelle son repentir sur une telle demande ; il fait la motion qu’à l’instant même on réalise ce qu’on ferait de ce portrait si on l’avait en son pouvoir et qu’il en soit fait autant de tous ceux des traîtres démagogues.
    « La société arrête à l’unanimité que, sur-le-champ et au milieu de la salle, les portraits des traîtres Robespierre, Couthon, etc., que quelques membres avaient chez eux et qu’ils ont remis sur le bureau, soient livrés aux flammes, ce qui a été exécuté aux applaudissemens universels d’un grand concours de citoyens présens à la séance. »