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circonstances, des radeaux de glaces flottantes se détachèrent, charriant non-seulement des blocs, mais des graviers et des débris de moraines et de détritus sous-glaciaires que les icebergs retinrent entassés. Plus récemment encore, le pays se souleva et tendit à reprendre son ancien niveau ; de nouveaux dépôts de sables mêlés d’argile et de coquilles se formèrent le long des côtes, tandis que les glaciers opéraient graduellement leur retrait et que les vallées délaissées par eux se repeuplaient de plantes et d’animaux.

Telle est cette histoire qui, malgré sa complexité, laisse entrevoir dans la Scandinavie quaternaire l’image du Groënland actuel. Pourtant il existe entre les régions ainsi mises en parallèle une différence essentielle que l’observateur attentif ne saurait négliger. Les icebergs du Groënland entraînent assez souvent des cailloux striés et d’autres matériaux empruntés à la face inférieure du glacier dont ils se sont détachés, mais ils transportent beaucoup plus rarement des blocs provenant de la superficie du glacier, où ces blocs sont de dimension médiocre, et cela par une raison bien simple : c’est que les glaciers du Groënland, de même que le plateau neigeux auquel ils servent de déversoir, en sont eux-mêmes dénués. Cette pénurie, qui contraste avec l’abondance de ces mêmes blocs sur les glaciers alpins, atteste l’universalité du phénomène glaciaire qui, dans le Groënland, couvre tous les accidens du sol et ne laisse saillir ni surplomber presque aucune roche mise à nu à l’intérieur de la région. La zone littorale est la seule que les glaces permanentes n’aient pas envahie; c’est la seule aussi dont les terrains soient accessibles à l’explorateur. Si donc la Scandinavie qua- ternaire avait ressemblé au Groënland trait pour trait, elle n’aurait pu fournir aux glaciers qui la sillonnaient ces matériaux de transport soit par les icebergs, soit par le glacier lui-même, que représentent les blocs erratiques. Ses montagnes n’étaient donc pas entièrement sous la glace. A côté des pentes et des vallées envahies, il en restait d’autres que la végétation et la vie n’avaient pas abandonnées. Cette déduction est en effet en rapport avec celle que nous tirons des notions que la paléontologie nous fournit sur le caractère véritable des temps quaternaires.

L’extension des glaciers a été un des plus grands phénomènes, peut-être même le plus saisissant de cet âge qui succède à la longue série des périodes géologiques; mais, quelle que soit son importance et son étendue, il n’est cependant pas le seul. Les faunes, les flores, les dépôts alluviaux et tourbeux, la distribution géographique comparée des animaux et des plantes, l’homme lui-même déjà présent fournissent des indices répétés qu’il faut bien combiner avec ceux que nous offre l’étude des seuls documens glaciaires.