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d’abord invoqué simplement les lois de la pesanteur; mais comme la glace est un corps solide, elle aurait dû se comporter à la façon d’une roche d’égale consistance. On aurait beau cependant accumuler de l’argile durcie par grandes masses, elle ne coulerait pas, et une fois amoncelée dans un fond, elle n’obéirait pas à un mouvement ascensionnel pour se frayer plus haut une nouvelle issue. On a dit alors que la glace se comportait à la façon d’un corps visqueux, d’une lave pâteuse dont les particules n’auraient entre elles qu’une demi-cohésion; elles conserveraient une certaine mobilité qui leur permettrait de s’avancer à la façon des liquides. Cependant la consistance rigide de la glace montre qu’elle possède la solidité d’une roche véritable. L’explication réelle a été finalement trouvée; M. Geikie la met en plein jour dans son livre. Elle intéresse par sa simplicité, en même temps qu’elle témoigne de l’esprit ingénieux du Dr Croll, à qui est due la théorie.

Pour la saisir, il faut d’abord se rappeler que l’eau à l’état de glace acquiert un volume plus considérable qu’à l’état liquide; il faut encore se représenter la glace la plus compacte en apparence comme un corps poreux, formé d’une immense agrégation de petits cristaux enchevêtrés et laissant entre eux d’innombrables interstices ou canalicules, dans lesquels l’eau redevenue liquide peut s’introduire de toutes parts. En dernier lieu, la glace d’un glacier n’a rien par elle-même de comparable à la structure d’une roche ou d’une substance minérale ordinaire qui persiste dans le même état sans éprouver de changement moléculaire. Cette glace, au contraire, subit des influences de pression et de chaleur inégalement distribuées qui, même en hiver, mais surtout en été, font repasser à l’état liquide certaines parties de la masse, principalement celles qui avoisinent la surface et auxquelles le soleil, la pluie ou seulement l’atmosphère communiquent incessamment de la chaleur. En outre, la masse du glacier, par suite de ces alternatives, se fend, se disjoint, présente des crevasses et des cavités qui offrent aux particules redevenues liquides une issue toujours ouverte vers l’intérieur. L’eau s’écoule donc sans trêve, et par le mouvement qui l’entraîne de haut en bas, par la capillarité qui lui permet de s’infiltrer dans les moindres intervalles, elle imbibe la glace; mais le contact avec celle-ci suffit pour qu’elle se congèle de nouveau, en occupant par cela même un espace plus considérable qu’auparavant. Ce dernier effet se produit nécessairement, quelle que soit d’ailleurs l’étendue petite ou grande des cavités remplies par l’eau au moment où elle passe de l’état liquide à l’état solide. De Là une pression exercée contre les parois déjà glacées ; de là une expansion forcée et une dilatation consécutive de toute la masse ; de là enfin,