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dans lesquels on croyait effectivement reconnaître un témoignage irrécusable du cataclysme qui avait failli détruire l’humanité voisine de son berceau.

Les mêmes géologues observèrent aussi des roches distribuées sans ordre apparent dans certaines régions et sur de grands espaces, quelquefois sur des pentes ou sur des plateaux et toujours sans rapport direct avec les élémens constitutifs du sol qui les portait. Ces matériaux hors place, toujours anguleux et comme posés à terre, entraînés par une force inconnue très loin des points d’origine d’où ils avaient été détachés à un moment et dans des circonstances indéterminées, reçurent le nom de « blocs erratiques. » C’étaient souvent des granits, des porphyres, des diorites, des grès d’une grande dureté ; leur dimension était parfois étonnante, leur poids prodigieux ; ils formaient çà et là des traînées, plus denses ou plus clairsemées dans certaines directions, comme si le phénomène ayant son origine et son point central quelque part avait ensuite perdu de son intensité en se propageant et s’écartant toujours plus dans le sens du rayon. D’une façon générale, c’était surtout au pied des Alpes et dans les plaines du Nord, à travers l’Allemagne, la Scandinavie, la Finlande et la Russie que les blocs erratiques avaient été rencontrés ; on distingua donc, non sans raison, deux ordres de phénomènes, analogues par leurs effets, mais qui pouvaient avoir relevé chacun d’une cause différente.

Le premier reçut le nom de « phénomène erratique des Alpes, » ou simplement de « diluvium alpin, » le second prit celui de « phénomène erratique du Nord. » Mais, il faut le dire, c’était là des lignes divisoires n’ayant rien de précis, confuses malgré leur apparente simplicité et accusant en réalité dans les phénomènes ainsi entrevus une complexité dont les explorateurs furent vivement frappés dès qu’ils voulurent examiner les choses de près. Il fallut alors une dépense énorme de travaux patiens et de recherches multiples avant d’y voir un peu clair. Ces recherches remplirent un demi-siècle ; elles durent encore et les ouvrages dont nous invoquons l’autorité en sont eux-mêmes un témoignage.

L’erreur de la première heure fut effectivement de vouloir tout expliquer avec un mot, — celui de courans diluviens, adopté par Cuvier parce qu’il semblait étayer et favoriser l’idée d’un déluge historique, dernier terme de ceux qui l’auraient précédé. Cette même pensée se trouvait d’accord avec celle des philosophes anciens, du Timée de Platon, des traditions égyptiennes, des croyances hébraïques et assyriennes. Cela suffisait alors pour rendre vraisemblable une opinion qui par elle-même ne reposait pourtant sur rien de réel. Si l’on avait dès l’origine soumis les élémens de la