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que l’on trouvait étrange que, depuis que cette négociation était entamée, le duc se montrât de plus en plus défiant. Charles IX lui répondit qu’il était assez maître "de son frère pour qu’il n’y eût pas d’autre obstacle à craindre que celui de la religion. Il ajouta qu’il emmènerait son frère hors de la cour pour l’arracher à l’influence de certains moines qui lui soufflaient une exagération de religion ; mais la pression était plus forte que Charles IX ne le pensait, et les répugnances du duc ne tardèrent pas à être suivies d’un refus formel de la main d’Elisabeth : « Mon fils m’a fait dire par le roi, écrivait Catherine à La Mothe-Fénelon, qu’il ne la veut jamais épouser, d’autant qu’il a toujours ouï mal parler de son honneur par tous les ambassadeurs qui y ont été ; qu’il penseroit être déshonoré et perdre toute la réputation qu’il a acquise. J’ai grand regret de l’opinion qu’il a ; je voudrois qu’il m’eût coûté beaucoup de sang que je la lui puisse ôter, mais je ne puis le gagner, encore qu’il me soit obéissant. Or, monsieur de La Mothe, vous êtes sur le point de perdre un tel royaume pour mes enfans. » Elle avait sous la main Guido Cavalcanti ; elle le fit venir et l’interrogea sur tout ce qu’on disait d’Élisabeth. Cavalcanti, un des familiers de sa cour, ne pouvant parler d’elle que dans les meilleurs termes, affirma que, depuis son avènement à la couronne, elle était l’objet de l’estime et du respect de toute l’Angleterre. Catherine, qu’elle le crût ou non, invita Cavalcanti à le répéter au duc d’Anjou. De son côté, elle travailla si habilement l’esprit de son fils qu’elle le ramena à ses propres idées : « J’ai tant fait, écrit-elle, le 18 février, à La Mothe-Fénelon, que mon fils d’Anjou s’est condescendu à l’épouser, si elle le veut, et qu’il le désire à cette heure infiniment. »

Sur ces entrefaites, lord Buckurst arriva en France. Il venait en mission extraordinaire pour complimenter Charles IX à l’occasion de son mariage. Il était parent éloigné d’Elisabeth. À ce titre, on lui ménagea une pompeuse réception. Après avoir séjourné trois jours à Saint-Denis, le 20 février, en compagnie de Walsingham, du comte de Rutland et des seigneurs de sa suite, il se rendit à Paris. À moitié chemin, le marquis de Trani et M. de Saluées l’attendaient, qui le conduisirent à l’hôtel préparé pour le recevoir, où le roi avait fait transporter les plus beaux meubles de la couronne et où il fut défrayé de toute dépense. Le 23, il fut conduit avec sa suite à l’audience royale dans douze coches et carrosses et avec une forte escorte de cavalerie. Le roi le reçut entouré de tous les princes du sang, de plusieurs cardinaux et des principaux dignitaires de la cour. On n’échangea que les complimens habituels. De chez le roi, Buckurst fut mené chez Catherine, où se renouvelèrent les protestations mutuelles