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inspirait à la reine la pensée de ce mariage, il manquerait à tous ses devoirs en ne l’approuvant pas, comme en ne l’appuyant pas de son mieux. Elisabeth loua la prudence de ses réponses, mais, faisant un pas de plus : « S’il vous semble, lui écrivait-elle, qu’on puisse aller plus loin et qu’on agisse de bonne foi, nous voulons non-seulement que vous continuiez comme de vous-même, mais que, si l’occasion s’en présente, vous parliez de notre part, car nous regardons la chose comme si avantageuse que nous craignons bien plutôt qu’il ne survienne quelque contre-temps qui la traverse que la diligence avec laquelle on peut la pousser. Vous n’en parlerez pourtant qu’autant que vous le jugerez nécessaire pour y disposer le roi. » Si, malgré ce plein pouvoir, Walsingham resta sur la réserve, c’est qu’il arrivait juste au moment où les plus grands efforts étaient faits pour détourner le duc d’Anjou de cette union. Le nonce, l’ambassadeur d’Espagne, ne cessaient de lui répéter que la reine Elisabeth était hérétique, trop vieille pour lui et incapable d’avoir des enfans. Pour flatter son amour-propre et l’attirer de leur côté, ils lui offraient tantôt d’être le chef d’une ligue contre les Turcs, tantôt de l’aider à s’emparer de l’Angleterre, facile conquête, à les entendre ; il valait mieux gagner glorieusement ce royaume par les armes que de l’acquérir honteusement par un mariage si mal assorti. De jour en jour, le duc prêtait une oreille plus favorable à leurs avances. Walsingham n’eut pas grand’peine à s’en apercevoir. « Le duc, écrivait-il, le 15 février, à Cecil, a dit à ceux qui l’approchaient qu’il ne se soucie pas beaucoup d’épouser la reine. C’est l’œuvre de l’ambassadeur d’Espagne et des Guise, qui emploient certaines raisons malhonnêtes pour l’en dissuader. Ils pensent peut-être à la reine d’Ecosse pour lui. »

Parmi les opposans les plus violens, il y en avait un que Walsingham ne nomme pas : c’était le cardinal de Pellevé, l’un des futurs chefs de la ligue. Voici ce qu’il en écrivait : « Quant au mariage de la reine d’Angleterre avec Monsieur, qui est la pratique de notre apostat le cardinal de Châtillon, je vous assure que le duc n’en a nulle volonté ; tenez cela pour résolu. Le roi d’Espagne, avec toutes les qualités que l’on peut désirer et avec une princesse si catholique, vous savez le peu de crédit et de pouvoir qu’il avoit pour le gouvernement de cette nation par trop soupçonneuse ; Monsieur n’eût point été le roi, mais le mari de la reine. » Tout à l’opposé des catholiques, les chefs protestans désiraient vivement le mariage du duc avec Elisabeth. Espéraient-ils se ménager son appui et d’assurer leur propre sécurité, qu’ils jugeaient très compromise ? Toujours est-il que Téligny, en leur nom, vint trouver le roi et s’en expliqua très nettement, ne lui cachant pas