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pantalons étroits. Sultan Abdul-Medjid régnait en ce temps-là ; il habitait Tcheragan-Seraï, sur la côte d’Europe, en marge du Bosphore. Tous les vendredis, selon l’usage, il se rendait en cérémonie à une mosquée désignée d’avance. Pendant deux mois et demi que je restai à Constantinople, je ne manquai pas une seule fois d’aller me poster sur son trajet afin de contempler ce frêle descendant d’une race si forte. Il était assez grand, mince, impassible comme une idole. Son visage maigre, d’une pâleur grise, encadré d’une courte barbe noire, surmonté de l’énorme tarbouch orné du croissant et de l’étoile en brillans, semblait porter l’empreinte d’une insurmontable lassitude. Jamais je n’ai pu le voir sans me rappeler ce vers de Victor Hugo dans Ruy-Blas :

Courbe son front pensif sur qui l’empire croule !


Il paraissait ployé sous le poids d’un ennui féroce, sous le poids de l’ennui des maîtres : absolus qui n’ont qu’un signe à faire pour commander la mort et qui ne savent pas si le cordon d’un esclave ne les attend pas dans un coin du palais. Dans l’ombre de ces Héliogabales, il y a toujours un prétorien caché. Qui donnait à sultan Abdul-Medjid un aspect si triste et presque désespéré ? Est-ce que les fantômes de sultan Sélim et de sultan Moustapha venaient, pendant la nuit, lui parler à l’oreille ? Est-ce qu’il regardait du côté de Méhémet-Ali, son vassal rebelle que l’Europe avait arrêté sur le chemin de Constantinople ? est-ce qu’il écoutait le bruit des armemens de la Russie ? Non. Lorsque l’on est sultan, « l’ombre de Dieu sur la terre, » que l’on possède un harem de quatre cents femmes ; lorsqu’une décision du Cheik-ul-Islam a déclaré que le vin de Champagne et le rhum ne sont point des liqueurs fermentées, on éprouve des fatigues qui font le visage pâle et laissent sur l’être entier la trace d’un ineffaçable dégoût. Dieu est le plus grand ! c’est la maxime qui perd les empires ; du moment que l’on ne peut éviter la fatalité, il est superflu de lutter contre elle, et l’on abandonne le soin du gouvernement au premier venu, au hasard, à la fantaisie. Deux hommes alors gouvernaient le sultan, qui gouvernait une partie de l’Europe et la moitié de l’Asie. L’un, Riza-Pacha, était seraskier, c’est-à-dire ministre de la guerre ; l’autre, Mehemet-Ali-Pacha, de Topana, était grand maître de l’artillerie. Le premier avait été garçon marchand de dattes, le second avait été apprenti layetier ; tous deux, alors qu’ils étaient enfans, avaient été ramassés par sultan Mahmoud, qui en avait fait je ne sais quoi avant d’en faire des pachas.

Un hasard me mit en relation avec un homme qui, sous le règne de sultan Mahmoud, avait joué un grand rôle. C’était Kosrew-Pacha,