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que, puisqu’elle était résolue à n’épouser aucun de ses sujets, il voulait se sacrifier pour conduire à bonne fin son mariage avec le duc. Leicester ajouta que la reine était plus mal que jamais avec l’Espagne, qu’au surplus, une fois de retour à Londres, on pourrait parler plus au long, mais qu’en attendant l’ambassadeur ferait toujours bien d’en dire quelques mots à la reine, et il s’offrît pour l’introduire dans ses appartemens. Évidemment tout cela était arrangé à l’avance. Élisabeth était plus parée que de coutume, comme si elle s’attendait à la visite de notre ambassadeur. La Mothe-Fénelon rappela que bien des fois elle lui avait dit qu’elle se prenait souvent à regretter de ne pas s’être mariée de bonne heure, et qu’elle lui avait également dit qu’elle ne s’allierait qu’à une maison royale ; il avait cru voir là comme une invitation à lui parler du duc d’Anjou, le prince le plus accompli qui fût aujourd’hui à marier. Elle répondit qu’elle croyait que les pensées du duc étaient « logées plus haut ; » elle était déjà bien vieille et, sans la considération de laisser des héritiers, elle aurait honte de parler d’un mari, étant déjà de celles dont on veut bien épouser le royaume et non la personne. Ceux de la maison de France avaient la réputation d’être bons maris et de fort bien honorer leurs femmes, mais de ne guère les aimer. Pour une première ouverture, le propos ne pouvait aller plus loin. La Mothe-Fénelon en fit part à Catherine, mais sans répondre de la conclusion, car la reine avait souvent promis au parlement de se marier, et avait toujours trouvé moyen d’éluder sa promesse. Néanmoins, selon lui, ce serait une faute que de ne pas donner suite à l’affaire, et de laisser échapper un si grand parti ; il invitait donc Catherine à y disposer le duc d’Anjou et attendait des instructions formelles, car c’était à eux de faire les premiers pas. La réponse de Catherine ne se fit pas attendre. « Nous avons pensé, dit-elle, que cette ouverture se faisoit par l’intelligence et peut-être la menée de la reine d’Angleterre, beaucoup plus en intention de se servir du temps et de nous pendant que ceci se négocieroit, qu’elle feroit conduire à la longue, que par volonté qu’elle eût de se marier. » Elle a donc répondu au cardinal de Châtillon que, si la reine avait quelque femme ou fille à marier qu’elle pût désigner comme héritière de son trône, ce serait beaucoup plus convenable. La prudence, surtout vis-à-vis d’Élisabeth, commandait ces précautions, mais l’offre lui avait été au cœur et, à la fin de sa lettre, elle s’étend complaisamment sur tous les avantages de cette union, invitant La Mothe-Fénelon à bien s’assurer de ce qui en était en réalité, et s’il y entrevoyait quelque chance, le priant d’en parler comme de lui-même et de faire en sorte que les lettres qu’il lui écrirait à ce sujet n’arrivassent qu’à elle seule, sans passer par d’autres mains.