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de grands politiques et de grands capitaines, mais aussi des conjonctures extraordinaires, comme celles dont M. de Cavour et M. de Bismarck ont su tirer un si merveilleux parti, et dont l’histoire n’avait pas encore donné d’exemple.

Tandis qu’à Compiègne, on ne se préoccupait que de l’heure présente, la diplomatie de l’empereur veillait au dehors ; elle avait le sentiment du danger, elle ne quittait pas des yeux M. de Bismarck, elle le suivait pas à pas dans ses évolutions, elle relevait ses actes et commentait les manifestations de sa pensée. Le 21 novembre, au sortir du conseil, M. de Moustier recevait de Francfort une dépêche d’une gravité exceptionnelle. Elle apprenait au gouvernement de l’empereur que M. de Bismarck avait su arracher aux ministres de Bavière, de Wurtemberg, de Bade, et de Darmstadt au moment de la signature de la paix, des traités d’alliance offensive et défensive, qui mettaient en cas de guerre toutes leurs forces militaires à la disposition et sous les ordres du roi de Prusse. Voici ce qu’écrivait notre consul-général au sortir d’un entretien qu’il avait eu avec un ministre étranger de ses amis, accrédité dans le midi de l’Allemagne.

« Je vous ai demandé hier, en vous annonçant que j’avais pris possession de mon poste, de vouloir bien me laisser le temps de m’orienter et de me reconnaître dans cette Allemagne que j’ai connue fédérale sous la présidence de l’Autriche et que je retrouve, après cinq années passées à Turin et à Constantinople, bouleversée de fond en comble sous la domination militaire de la Prusse. Je ne pensais pas, en vous demandant crédit, que quarante-huit heures après mon arrivée, j’aurais le triste devoir d’apprendre au gouvernement de l’empereur que l’œuvre de sa médiation, à peine consacrée par le traité de Prague, était déjà transgressée… M. de X., avec la persévérance et l’esprit d’investigation qui caractérisent ce diplomate, est arrivé peu à peu, frappant à toutes les portes et procédant à la façon d’un juge d’instruction, à réunir tout un faisceau de preuves qui ne sauraient laisser aucun doute sur l’existence de traités secrets d’alliance offensive et défensive que la Prusse aurait imposés successivement aux quatre cours méridionales. C’est par voie d’affirmation qu’il a procédé, se servant des propos et des confidences des uns pour arracher des aveux aux autres. Le ministre des affaires étrangères de Bavière, m’a-t-il dit, a rougi, le ministre de Wurtemberg a balbutié, le ministre de Bade n’a pas nié, et celui de Hesse a tout avoué. — D’après M. de X., ces traités, dont l’existence ne saurait plus être mise en doute, seraient la reproduction d’une partie de la convention qui a servi de type aux états du Nord, et la Prusse se réserverait d’y ajouter, lorsqu’elle n’aura plus à ménager la France, les clauses qui lui assureront le commandement suprême et qui stipuleront en même temps la transformation