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fut-il éconduit lorsqu’il se présenta au quartier-général de Neisse pour rappeler à Frédéric II ses promesses au milieu de son armée victorieuse, comme M. Benedetti, l’ambassadeur de l’empereur, devait être éconduit, lorsqu’à Nikolsbourg, s’appuyant sur de simples assurances verbales, il venait revendiquer des provinces allemandes. En 1742, une politique imprévoyante avait permis à la Prusse de jeter les premiers fondemens de sa grandeur future : les mêmes fautes devaient lui permettre, en 1866, de couronner l’œuvre commencée par Frédéric II.

Mais si les violences de la Prusse victorieuse, à qui l’on réclamait Mayence.. s’expliquaient, celles de l’Italie, qui était défaite, et à laquelle on offrait Venise, étaient sans excuse. Depuis plus de cinquante ans, elle n’avait pas cessé d’être l’objet de nos plus ardentes sympathies. Nos poètes la chantaient, nos artistes se prosternaient devant ses chefs-d’œuvre ; nos historiens glorifiaient son passé et nos orateurs comme nos publicistes n’avaient cessé de prendre en main la cause de son indépendance. Tous nos gouvernemens, la monarchie de juillet, la république de 1848, même la restauration, lui avaient donné des marques efficaces de leur active bienveillance. L’empereur en avait fait le pivot de sa politique ; il avait combattu pour elle en 1859, et c’était pour lui donner Venise qu’il avait laissé la guerre s’engager en Allemagne. Sans doute il avait eu tort de vouloir imposer un titre de plus à sa reconnaissance en l’obligeant à accepter de ses mains, alors qu’elle était trahie par le sort des armes, la Vénétie, qu’elle n’entendait devoir qu’à sa vaillance. Mais s’il avait péché, c’était par excès de sollicitude pour l’accomplissement de ses destinées. Il avait voulu, se préoccupant plus encore de ses intérêts que de ceux de la France, la garantir contre toutes les mauvaises chances de la guerre. Et l’Italie, qui certes n’eût pas refusé Venise si la Prusse avait subi des défaites, nous outrageait, se disant atteinte dans son honneur ! Au quartier-général de Nikolsbourg, elle consacrait tous ses efforts à contrecarrer l’action de notre diplomatie, à empêcher la Prusse de signer un armistice ; elle nous faisait perdre, en ne s’inspirant que des considérations les plus égoïstes, tous les avantages que nous étions en droit d’attendre de la guerre, elle causait à notre politique un préjudice irréparable. Napoléon III n’avait pas médité Machiavel. « Se prêter à l’agrandissement de ses voisins, disait cet habile homme, c’est préparer son propre amoindrissement. »

L’affranchissement de l’Italie était sans doute une idée généreuse. On comprend qu’elle ait passionné la France. Mais il est des conceptions qui, bien que grandes et généreuses, ne se concilient pas avec la raison d’état. Ériger en système une idée fausse et pour la réaliser la pousser avec un funeste parti-pris jusqu’à ses dernières