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que de l’Autriche, qui de parti-pris avez repoussé obstinément toute entente avec la Prusse, qui osez aujourd’hui conseiller une politique pareille, sans même vous être rendu compte des forces dont vous disposerez pour la soutenir ? — M. Drouyn de Lhuys ne trouvant rien à répondre, l’empereur leva la séance sous le coup d’une indicible émotion. »

Tel est le récit que me faisait le marquis de La Valette, il y a peu de mois. Il confirme, en les complétant, les détails que j’ai donnés ici même sur le conseil de Saint-Cloud du 5 juillet, où deux politiques rivales se trouvaient aux prises à une heure décisive et s’efforçaient d’entraîner un souverain faible et perplexe dans deux voies diamétralement opposées. L’empereur n’a pas sanctionné le jugement porté sur M. de La Valette par ses adversaires. Il a persisté jusque dans la captivité, où tombent toutes les illusions, à le considérer comme un de ses meilleurs conseillers, u Vous m’avez toujours donné les plus sages conseils, lui écrivait-il de Wilhelmshöhe, et votre dévoûment n’a failli dans aucune épreuve. » M. de La Valette, en me communiquant la lettre de l’empereur, me recommandait de n’en pas faire usage. Je ne crois pas manquer à ses recommandations en me bornant à reproduire, pour la justification de sa mémoire, le passage qui répond le mieux aux appréciations souvent passionnées dont il a été l’objet.

L’histoire contemporaine a ses écueils, mais elle a aussi ses avantages ; elle voit de près les acteurs qu’elle est appelée à mettre en scène, elle peut saisir sur le vif leurs qualités et leurs défauts, et elle est à même de réunir les élémens qui permettent de mettre en saillie et de fixer les traits des hommes qui, par leurs actes, plus que par leurs écrits et leurs paroles, ont exercé une influence considérable sur les événemens. C’est à ce titre que le portrait de M. le marquis de La Valette méritait d’être esquissé.


II. — LA CIRCULAIRE LA VALETTE.

Le pays commençait à s’inquiéter, il sentait que la voix de la France n’était plus écoutée. Le moment arrivait où l’on allait demander compte à l’empereur des résultats de sa politique. « L’opinion publique a des retours subits auxquels il faut s’attendre, lui avait écrit M. Magne dès le 25 juillet, et le sentiment national serait profondément froissé si, en fin de compte, la France n’avait obtenu de son intervention d’autre résultat que de s’être attaché aux flancs deux voisins dangereux par leur puissance démesurément agrandie[1]. » Déjà, dans les premiers jours d’août, le sentiment public avait été mis en éveil par les correspondances du Siècle datées de Berlin,

  1. Papiers des Tuileries.