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faire annoncer ; ce fut un coup de théâtre. L’empereur me mit aussitôt au courant des délibérations et des résolutions qui venaient d’être prises. Je lui représentai que ces déterminations étaient en opposition flagrante avec le rôle de médiateur qu’il avait revendiqué la veille et qui avait été accepté aussitôt de la meilleure grâce par le roi Victor-Emmanuel, aussi bien que par le roi de Prusse. Sans doute, ajoutai-je, les conseils que Votre Majesté transmet aux deux quartiers généraux soulèvent des objections et rencontrent des résistances, mais si l’Italie est irritée de ses défaites et la Prusse grisée par ses victoires, il appartient au médiateur, à sa sagesse et à sa modération, de calmer leurs passions et de les amener par la persuasion à souscrire à l’œuvre qu’il a entreprise. L’empereur a présidé à l’alliance de la Prusse avec l’Italie ; peut-il aujourd’hui demander au roi Victor-Emmanuel de manquer à l’honneur et de violer le traité qu’il lui a conseillé de signer ? Que dirait Votre Majesté si le gouvernement italien, contraint de justifier son attitude, venait à publier les documens qui révéleraient à la France et à l’Europe que le traité du 8 avril a été non seulement approuvé, mais conseillé par le gouvernement impérial ?

« M. Drouyn de Lhuys resta silencieux ; l’empereur se leva et, vivement impressionné, l’entraîna dans son cabinet, suivi de l’impératrice. Je me trouvai seul avec M. Rouher. — Eh quoi ! lui dis-je, vous n’avez pas soufflé mot ? vous m’avez laissé seul combattre les résolutions funestes qui vont être mises à exécution ? « — Vous avez trop bien parlé, pour avoir besoin de mon assistance, » me répondit le ministre d’État. En rentrant dans la salle du conseil, l’empereur me dit qu’après avoir longuement discuté le pour et le contre, il croyait devoir persister dans ses déterminations premières. — Que Votre Majesté, répondis-je, veuille me permettre un instant de lui manquer de respect, en l’interpellant, et de lui demander si, militairement du moins, elle est en mesure de soutenir une politique qui, d’après les dépêches reçues par Nigra et par Goltz, provoquera une guerre infaillible, et, je le crains, désastreuse, avec la Prusse et l’Italie. Je me suis enquis des forces dont nous disposions. Votre Majesté sait-elle que le Mexique a tout absorbé, que nous n’avons ni chevaux, ni matériel, ni effectifs, qu’elle n’aura qu’une quarantaine de mille hommes, incomplètement munitionnés, à mettre en ligne, et ne prévoit-elle pas que ses soldats, quelle que soit leur vaillance, seront impressionnés par le fusil à aiguille qui a déterminé le succès foudroyant de la campagne de Bohême ? — L’empereur, visiblement troublé par mon interpellation, finit par reconnaître qu’en effet l’armée n’était pas prête pour provoquer à la fois la Prusse et l’Italie. — Et c’est vous, monsieur, dis-je en me retournant vers M. Drouyn de Lhuys, qui n’avez été préoccupé