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le pays avec les événemens accomplis et annoncer à l’Europe l’évolution de notre politique était son œuvre personnelle. Elle résumait en quelque sorte une brochure publiée en 1865 sous l’inspiration de l’ambassade de Prusse, à une époque où le cabinet de Berlin recourait à tous les moyens pour nous séduire et nous gagner à ses combinaisons. Développer dans une brochure retentissante les idées chimériques qui germaient aux Tuileries et leur donner le caractère de la politique de l’avenir ne laissait pas que d’être habile, mais le comble de l’habileté, c’était de faire croire que non-seulement ces idées étaient appréciées à Berlin, mais que déjà le roi et son ministre se les étaient assimilées.

C’est à M. le marquis de La Valette, alors chargé de l’intérim du ministère des affaires étrangères, que l’empereur confia le soin de développer sous forme diplomatique les bases de son nouveau programme. C’était mettre son dévoûment à l’épreuve, car, élevé dans nos vieilles traditions, son esprit sagace se refusait à rompre ouvertement avec les souvenirs de notre histoire. Sa rédaction ne fut pas agréée. C’était le langage de la diplomatie, réservé, contenu, atténuant sans doute les fautes commises, mais évitant de rompre les ponts et d’engager l’avenir. M. de Moustier s’était catégoriquement refusé à prêter son nom ; M. de La Valette dut s’y résigner. On dit qu’il ne négligea aucun effort pour réduire la manifestation impériale aux proportions d’un simple document de chancellerie. Son crédit, alors tout-puissant aux Tuileries, lui permettait plus qu’à tout autre de présenter des objections et même de combattre les idées de celui que la reine Hortense appelait « le doux entêté. » Il était, avec le comte Walewski, le seul ministre qui eût à la cour tout son franc parler. Mais on l’écoutait plus volontiers, sa franchise étant aimable, persuasive, et parfois gauloise, tandis que celle du comte Walewski était souvent chagrine. L’un s’autorisait de sa naissance, l’autre des charmes et des ressources de son esprit. Tous les deux appartenaient à la jeunesse élégante et raffinée de 1830, dont M. de Morny était le type accompli. La diplomatie les attira, elle leur donna l’expérience et la maturité qui leur permit plus tard de jouer un rôle important dans la politique de leur pays. L’histoire, si friande d’autographes, ne trouvera pas à se satisfaire en dehors de leur correspondance officielle lorsqu’elle voudra tracer la biographie de ces deux personnalités, dont le point de départ a été le même, mais dont les qualités et les aptitudes différaient essentiellement. Parmi tant de lettres recueillies dans les épaves des Tuileries, après le 4 septembre, il ne s’est pas trouvé une ligne de leur main. Ils étaient de l’école du prince de Talleyrand, ils préféraient la parole à la plume.

M. de La Valette a inspiré de durables amitiés et d’implacables