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en quelque sorte qu’on avait renoncé à la médiation armée ; c’était enfin en s’inspirant de ses conseils qu’après la signature des préliminaires de Nikolsbourg, alors que le moment était passé, on avait résolu d’introduire des demandes de compensation. Aussi s’en prenait-on à lui de nos déconvenues. On lui reprochait d’avoir abusé de la confiance de l’empereur, de l’avoir induit en erreur sur les véritables dispositions de sa cour, on lui battait froid et, à l’occasion, on ne se gênait pas pour émettre en sa présence, sur son souverain et son ministre, les jugemens les plus sévères. Mais il n’était pas homme à se décontenancer pour si peu ; son rire n’en était que plus saccadé et plus aigu. Nos plaintes, le désarroi qui régnait dans les cercles officiels, les attaques de la presse contre le gouvernement n’avaient rien que son patriotisme dût regretter. Nos reproches ne faisaient que mieux ressortir l’habileté et le dévoûment dont il avait fait preuve en travaillant au triomphe de la politique prussienne. Il jouissait de nos angoisses patriotiques : elles étaient son œuvre. Ce qui lui importait, c’était de ne pas perdre son crédit auprès de l’empereur et, pour le conserver, il usait de sa tactique habituelle, attribuant les refus que nous avions éprouvés à Berlin moins au mauvais vouloir de M. de Bismarck qu’aux maladresses de notre diplomatie. À l’entendre, M. Drouyn de Lhuys avait tout compromis par ses menées autrichiennes, et M. Benedetti, par son inexpérience, avait laissé échapper les occasions qui s’étaient offertes à lui. Ce n’était pas qu’il défendît les procédés de M. de Bismarck. Il déplorait que, sous l’empire d’une injuste défiance, il eût hésité à nous concéder la Belgique ; c’était une faute, car la France, satisfaite au nord, aurait fini par se désintéresser du côté du Rhin et les destinées de l’Allemagne se seraient accomplies sans secousses.

Il appartenait à la France aujourd’hui, disait-il, de faire preuve de sagesse, de calmer les susceptibilités germaniques en déclarant hautement que, fidèle à la politique proclamée par l’empereur, elle laissait à chaque nation le soin de se constituer librement au gré de ses aspirations. Ce point une fois acquis, rien ne s’opposerait plus, le roi Guillaume et l’opinion publique étant rassurés sur nos arrière-pensées d’ingérence, à ce que l’Allemagne, de son côté, facilitât à la France les moyens de s’étendre vers le nord et de rétablir ainsi l’équilibre rompu momentanément à son détriment. L’annexion immédiate de la Belgique soulèverait sans doute de grandes appréhensions en Europe et pourrait même provoquer un conflit avec l’Angleterre, mais rien ne nous empêcherait de la rendre fatale en la préparant insensiblement par tout un réseau de conventions économiques et de la consommer sûrement à l’heure voulue. Si M. de Bismarck n’avait pas satisfait sur-le-champ à nos désirs et avait cru devoir manifester des inquiétudes avant de signer un traité de garantie, c’est qu’il s’était senti