Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous reprochait d’avoir méconnu le traité du 12 juin et de l’avoir sacrifiée à la Prusse.

Le recueillement s’imposait à notre politique ; elle ne pouvait plus avoir en face d’une situation aussi compromise que deux objectifs : réconcilier l’Europe avec nos erreurs et reconstituer nos forces militaires. Mais notre optimisme était à toute épreuve ; ni les expériences du passé ni les avertissemens du dehors ne pouvaient ébranler la confiance qu’avaient su nous inspirer le roi Guillaume et son premier ministre ; on persistait à croire qu’au fond ils restaient animés du désir sincère de s’entendre avec nous. On n’admettait pas que la Prusse, naguère si courtoise, si humble, nous obsédant de ses protestations amicales, sollicitant notre alliance, n’eût pas un intérêt véritable à se concilier nos sympathies et à s’assurer notre appui pour pouvoir constituer sa confédération du Nord, en face des jalousies que ses succès avaient éveillées en Europe et des haines que ses violences avaient suscitées contre elle en Allemagne. Sans doute elle s’était démesurément agrandie, le résultat de la guerre avait dépassé de beaucoup ses espérances. Surpris dans un moment de défaillance par M. de Goltz, l’empereur était allé, sous la crainte d’une guerre immédiate, jusqu’à lui permettre d’annexer le Hanovre, la Hesse électorale, le duché de Nassau et la ville libre de Francfort, alors qu’elle ne demandait que trois cent mille âmes, juste de quoi combler les solutions de continuité de son territoire. Mais les calculs de notre politique ne l’avaient-ils pas séparée du midi de l’Allemagne, ne lui avaient-ils pas imposé la ligne du Mein avec la certitude que son ambition la porterait à vouloir la franchir ? Il nous restait donc de véritables atouts dans notre jeu, une amorce qui obligerait le cabinet de Berlin un jour ou l’autre à transiger avec nous, car sans une entente préalable avec le cabinet des Tuileries, il se trouverait en face de la France et de l’Autriche, qui sauraient le rappeler au respect du traité de Prague. Le langage que tenait M. de Goltz à Paris ne pouvait que nous fortifier dans ces idées. « Déjà l’ambassadeur de Prusse, écrivait M. Rouher, ne dissimule pas des convoitises vis-à-vis du groupe des confédérés du Sud, et le moment arrivera où nous pourrons stipuler pour notre alliance le prix que nous jugerons convenable[1]. »

À ce moment, la situation de l’ambassadeur de Prusse à Paris s’était singulièrement modifiée. Il était en butte à d’amères récriminations. Toutes ses promesses étaient restées en souffrance. C’était à son instigation que le parti italien s’était, le 5 juillet, jeté à la traverse des résolutions énergiques arrêtées dans le conseil des ministres et que commandaient les circonstances ; c’était sous sa garantie

  1. Papiers des Tuileries.