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clergé. » En d’autres termes, c’est la « guerre au cléricalisme, » poursuivie plus que jamais sous toutes les formes, compliquée aujourd’hui de cette campagne de spoliation préméditée contre ce qu’on appelle la « mainmorte ! » — Dans les affaires financières enfin, M. Gambetta a un secret infaillible, invariable, — l’impôt sur le revenu. Il l’a proposé plusieurs fois, cet impôt ; il le remet dans son programme, et il ne s’aperçoit pas qu’il propose tout simplement la plus dangereuse des expériences, la plus redoutable des crises dans un moment où les finances françaises, déjà engagées, ont besoin de garder ce qui leur reste de liberté, dans un pays où une réforme de ce genre conçue par l’esprit de parti deviendrait bientôt peut-être un instrument d’inquisition, de division sociale.

Oh ! sans doute M. Gambetta a des correctifs, des expédiens de temporisation. Il ne s’agit pas de tout faire à la fois, de tout précipiter, d’aller trop vite. Il s’agit de suivre une « politique réformatrice ferme, sage, loyale, méthodique,.. » la politique « de progrès réguliers, successifs, par étapes. » M. Gambetta veut marcher « lentement, mais sûrement, » et c’est par ces procédés diplomatiques qu’il croit différer des radicaux révolutionnaires, des « utopistes, » comme il les appelle. La différence n’est pas aussi grande qu’il le pense. Qu’on aille lentement, « par étapes, » la révision de la constitution n’en est pas plus opportune, la guerre aux croyances religieuses, à des traditions respectées jusqu’ici n’en est pas plus prévoyante, l’impôt sur le revenu n’en sera pas meilleur dans l’état de la France. Toutes ces propositions d’une politique prétendue réformatrice ne restent pas moins des concessions à l’esprit d’agitation indéfinie, au radicalisme, dont on a l’air de se séparer parfois, et qu’on tâche de désarmer faute d’oser le combattre en face. Malheureusement c’est ainsi. M. Gambetta cède aux radicaux, étend ses programmes pour être élu à Belleville. M. le président du conseil, à son tour, après avoir protesté contre la révision, cède à M. Gambetta sur la révision. Ceux qui ne pensaient plus à l’impôt sur le revenu ne veulent pas se laisser devancer. Successivement tout y passe, la constitution, l’ordre religieux, l’armée, les finances. On se crée la nécessité de toucher à tout sous prétexte de réformes démocratiques. Et c’est avec cet ensemble d’idées, de passions ou de condescendances qu’on se figure assurer la paix civile, la paix intérieure, qu’on croit faire une majorité pour appuyer le gouvernement, fonder un gouvernement pour affermir la république ! C’est tout cela qu’on donne comme une émanation du pays, comme le dernier mot des élections du 21, comme le programme de l’assemblée nouvelle ! Involontairement on se rappelle ce que disait M. Thiers quelques jours avant sa mort, à la veille des élections de 1877 : « Si par radicalisme, disait-il, on entend une certaine conception de l’esprit démocratique qui porterait sur l’administration civile, sur ie régime financier, sur l’organisation militaire,