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du scrutin, des dialogues d’une éloquence assez bizarre avec ses électeurs qui ne voulaient pas l’écouter et qu’il a bravement appelés des « esclaves ivres, » il a eu de la peine à conquérir une majorité dans une des circonscriptions du fameux xxe arrondissement, à Belleville même ; dans l’autre circonscription, à Charonne, il s’est vu réduit à un ballottage, qu’il s’est empressé de décliner. Il est revenu de son « Mont-Aventin » assez bousculé, et la manière même dont il a été élu n’est peut-être pas propre à rehausser sa position. Il a reçu une blessure dans la bataille, cela est certain, et si on veut bien y regarder de près, ce n’est pas d’hier, ce n’est pas le 21 août qu’il a reçu la première atteinte dans son crédit. Depuis plus de six mois il va par une série de fausses manœuvres au-devant d’échecs successifs qui l’ont visiblement un peu diminué. Il a passé pour être l’inspirateur d’un certain nombre d’actes diplomatiques ou militaires, et il n’a pas été heureux. Il est allé à Cahors et il n’a pas réussi, ou, si l’on veut, il n’a réussi qu’à se compromettre. Il a voulu imposer le scrutin de liste, et ila échoué. Il est allé l’autre jour à Belleville, et il a éprouvé un accident qui n’a été qu’un mécompte de plus, qui n’est pas fait pour le relever. Cette malheureuse aventure, elle a même l’inconvénient de n’être point exempte d’un certain ridicule, de paraître peu intéressante, surtout peu digne d’un président de la chambre des députés. La vérité est que M. Gambetta s’est diminué lui-même depuis quelque temps par ses fausses tactiques, qu’il est la brillante victime des confusions de son esprit. Il a les faiblesses d’un orateur, d’un politique qui ne réussit pas à se fixer, qui ne peut ni se résoudre à rester un tribun ni se décider à devenir un homme de gouvernement, ou plutôt qui croit pouvoir tout concilier, être à la fois un tribun et un homme de gouvernement, le « député de Belleville » et le représentant d’un mouvement régulier d’opinion. Il finit par se créer cette position équivoque, à peu près impossible, dont le vice a éclaté dans les derniers incidens électoraux auxquels il s’est trouvé mêlé.

Pourquoi M. Gambetta a-t-il voulu aller encore une fois à Belleville ? Il a mis manifestement une sorte de point d’honneur, même un peu de jactance, à reparaître sur ce « Mont-Aventin » des premières années de sa vie publique. Il s’est flatté certainement d’en imposer par sa présence, de faire accepter sa direction, de dominer les tempêtes s’il y avait des tempêtes. Il a cru aussi sans doute se donner une force de plus en restant le mandataire, en paraissant être le modérateur ou le guide d’une remuante démocratie, et pour réussir il devait nécessairement être conduit à ne pas marchander les concessions dans son langage. Qu’est-il arrivé cependant ? Il a fait les concessions et il n’a pas réussi. Vainement il a déployé sa plus impétueuse éloquence et déroulé le tableau des réformes démocratiques ; vainement il est arrivé avec ses petits papiers, avec ses petites statistiques, promettant aux