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été sous Louis XIV un des moyens de gouvernement les plus féconds. Ce serait d’ailleurs une curieuse histoire que celle des successeurs des missi dominici. Seuls, ceux de Charlemagne sont demeurés célèbres; mais à toutes les époques de renaissance, chaque fois que la royauté a ressaisi le pouvoir et voulu sincèrement opérer la réforme des abus, améliorer le sort du peuple et relever la France, elle a eu recours à ces missionnaires de l’autorité, qu’elle les appelât maîtres de requêtes ou intendans de justice et de police, qu’elle leur confiât une chevauchée plus ou moins longue ou qu’elle imposât à leurs recherches l’obligation d’une résidence provisoire. Colbert a senti tout ce qu’il pouvait tirer de ces enquêtes. M. de Boislisle met sous nos yeux celles qui furent faites, en 1684, par un des intendans que ce grand ministre avait formés. M. de Ménars, frère de Mme Colbert, était un magistrat consciencieux, humain, franc et d’une indépendance que Colbert avait plus d’une fois encouragée « Ses rapports sur la généralité de Paris, dont on cherche en vain l’équivalent sous les administrations suivantes, font connaître à fond chacune des élections qu’il visita dans l’été de 1684 et révèlent bien des détails omis par le Mémoire (p. LXIII). » Il était toujours soucieux de rendre la justice aux petites gens, et ce trait de caractère apparaît dans la rédaction de ses rapports : la visite aux prisons forme un chapitre spécial et les élargissemens qu’ordonne l’intendant font éclater son amour de la justice. « Lorsque je suis arrivé dans un lieu principal, dit-il, je visite les prisons, j’examine les registres de la geôle, ceux de la recette et des frais des receveurs et les minutes des élections. Je mande les collecteurs de cinq ou six paroisses. J’écoute les plaintes contre ceux qui sont chargés des recouvremens. Je les fais venir; j’entends leurs raisons; quand ils ont tort, je les reprends en particulier. S’il y a du crime, j’en fais des procès-verbaux que je vous envoie; s’il y a des plaintes contre les officiers de justice, je les approfondis avec eux, j’entre en tout ce qui peut faciliter les recouvremens et diminuer les frais[1]. » C’est à l’aide de ces enquêtes qu’étaient parfois atténués les misères et les abus dont nos regards sont blessés quand nous entrons dans le détail du passé. S’il n’y avait pas eu des ministres comme Colbert, des intendans comme M. de Ménars et des magistrats obscurs dont la conscience était sans cesse en éveil, la somme des maux dont souffrait l’ancien régime eût conduit la France à l’anarchie.

Il faut mettre au premier rang des documens publiés parmi les pièces justificatives et qui font honneur à l’administration de ce temps un « mémoire sur la misère des peuples et les moyens d’y

  1. Lettre du 21 juillet 1682 adressée par M. de Ménars au contrôleur-général Le Peletier, page 700.