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aux navires. Le 20 octobre 1841, la corvette française l’HéroÎne, maintenant commandée par le capitaine L’Évêque, était revenue à Kororarika après avoir essuyé la tempête près de la côte sud de la Nouvelle-Hollande; elle devait se fournir de provisions et se rendre au port d’Akaroa, où l’année précédente avaient été débarqués des colons. Le capitaine s’empressa de faire visite au capitaine J. Clark Ross, et le lendemain les commandans de l’Erebus et du Terror montèrent à bord du bâtiment français ; comme ils annonçaient l’intention d’aller aux îles Chatham, le capitaine L’Évêque leur remit un exemplaire du plan qu’avait levé le capitaine Cécille au cours de sa campagne.

Le 22 novembre, l’Erebus et le Terror s’apprêtaient à quitter la Nouvelle-Zélande, lorsqu’on reçut l’avis que, sur le territoire de Kororarika, une femme européenne, ses trois enfans et le domestique avaient été tués par des Maoris et le feu mis à la maison. Les habitans européens, en proie à la crainte, imploraient du secours. Le commandant expédia un détachement sous la conduite d’un officier, mais il résulta de l’enquête que le crime était un acte personnel. Le mari de cette dame avait acheté un terrain et, comme il vint à mourir, le vendeur s’imaginait avoir le droit de reprendre la propriété ; déçu dans son espérance, il avait eu recours à l’assassinat. Arrêté, conduit et jugé à Auckland, le coupable fut pendu avec toute la solennité imaginable. C’était le premier jugement, la première sentence, la première exécution par les autorités établies en ce pays. Les vaisseaux britanniques faisant voile pour l’ile Chatham, les vents contraires, les ouragans, les brouillards rendirent la navigation très périlleuse. Après s’être approchés des roches connues sous le nom de Récifs du Nord-Ouest, l’Erebus et le Terror s’enfoncèrent dans le sud pour des nouvelles recherches au milieu des glaces du cercle antarctique.

Charles Wilkes, James Ross, Dumont d’Urville ont passé; c’est fini maintenant des voyages aux terres inconnues; c’est fini des grandes navigations d’autrefois. Désormais, si une exploration scientifique est dirigée sur un point du globe, elle se poursuivra dans des conditions absolument différentes. Sur toute terre importante, on rencontrera l’élément européen. Ainsi lorsque, en 1858, la frégate autrichienne la Novara jettera des savans sur les îles que, moins d’un siècle auparavant, le capitaine Cook abordait pour la première fois, ils trouveront des villes, des bourgades, des hôtelleries européennes. Il ne reste plus qu’à examiner par quels actes, par quelles circonstances un peuple a été totalement subjugué, une grande colonie fondée.


EMILE BLANCHARD.