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l’entrée de la baie des Iles. Le jour suivant, ils étaient au mouillage bien connu à l’embouchure de la rivière Kawa-Kawa.

Le gouverneur, M. Fitzgerald, résidait alors à Kororarika, dans une maison de bois apportée d’Angleterre, n’attendant que le moment favorable pour se rendre à Auckland devenu le siège du gouvernement. Pour dresser un observatoire, on avisa sur la rive gauche du fleuve un terrain propice qui dépendait de la mission de Pahia. Le révérend Williams, ancien lieutenant de la marine royale, eut ainsi l’occasion de servir la science. C’était tout près de l’endroit où Marion et les gens de sa suite avaient été dévorés. Avec régularité, se poursuivirent les observations sur le magnétisme, avec ardeur les recherches des naturalistes. Par malheur, il était recommandé de ne pas trop s’éloigner ; les Maoris, fort désappointés des effets du traité de Waïtangi, laissaient percer leur colère. Néanmoins, comme il était urgent de se procurer du bois, il fallut pour aller à la forêt remonter la rivière sur un long parcours. On n’obtenait plus de beaux arbres pour quelques clous ; le chef du district exigea deux mousquets et un uniforme d’officier de vaisseau, qu’il s’empressa de revêtir au grand amusement des matelots anglais. À bord des navires, on reçut la visite du chef Pomaré et de deux autres personnages d’une certaine importance. Ils demandaient des armes, de la poudre, ainsi que du rhum. Pomaré semblait être sous l’influence de copieuses libations et sa femme favorite laissait bien deviner qu’elle en avait pris sa part. On n’était plus au temps de Cook ; la sobriété des Néo-Zélandais restait dans les lieux fréquentés des Européens un simple souvenir d’une époque lointaine.

Pomaré se plaignait alors en termes énergiques du traité de Waïtangi ; il avait engagé ses compatriotes à l’accueillir, sans jamais comprendre qu’il abandonnait le pouvoir de disposer des terres à son gré. Différens chefs, qui plusieurs années auparavant avaient vendu des parties du sol pour quelques misérables objets, voyant leur valeur croissante, concevaient les plus amers regrets. La douane avait été installée afin d’empêcher les baleiniers de venir trafiquer à la baie des Iles. Un tel bienfait de la civilisation n’était pas du goût des habitans. Les chefs s’effrayaient de la rapidité de l’invasion européenne. Au fond, les Maoris ne rêvaient qu’un prétexte pour expulser les étrangers. Des chefs avaient provoqué de grandes réunions sous l’apparence de fêtes, avaient harangué leurs compatriotes pour faire ressortir le danger de vendre les terres. À Auckland, on vit des indigènes suivre les enchères et racheter des terrains qu’ils avaient cédés à une époque antérieure. Aucun acte de violence ne s’était produit encore, mais il régnait un souffle de haine et de colère.

Pendant le séjour à la baie des Iles, on s’occupa très activement