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ordre les habitations des Européens ; sur toute la longueur du rivage des maisons en bois ont été bâties, et chaque jour s’élèvent de nouvelles constructions. Il y a des tentes en grand nombre; les immigrans récemment arrivés campent jusqu’au moment où ils pourront avoir une demeure fixe. Dans le village des Maoris, la case du chef attirait l’attention par des ornemens d’un art très primitif; la pluie étant survenue, nos officiers allèrent y demander abri. Elle contenait une dizaine d’individus, hommes, femmes et enfans, tous couchés sur un lit de fougère, enveloppés d’une couverture et la pipe à la bouche ; par signes, par l’exhibition de chapelets ou de médailles, ils tenaient à prouver qu’ils étaient de bons catholiques.

Nos marins, qui ont vu les Néo-Zélandais il y a seulement une quinzaine d’années, éprouvent en les revoyant une profonde pitié. Ces insulaires, autrefois d’humeur guerrière, aujourd’hui tendent la main aux passans et, l’aumône reçue, courent la porter au cabaret le plus voisin. Près des Européens, les Maoris, dont les pères n’avaient jamais connu d’autre breuvage que l’eau claire, s’étaient pris d’un goût effréné pour les liqueurs fortes et le tabac. Abandonnant de plus en plus leur industrie, abîmés dans leur dégradation, ils paraissaient regarder avec indifférence les envahisseurs de leur patrie traçant des rues, élevant des constructions, bouleversant le sol dont ils avaient cessé d’être les maîtres. L’arrivée du capitaine Hobson et des agens du gouvernement britannique avait réveillé parmi les indigènes quelques idées d’indépendance. On parlait d’un mouvement assez sérieux qui s’était produit au sujet de l’arrestation d’un Néo-Zélandais, mais les soldats rouges avaient paru, l’attroupement s’était dissipé.

Un officier qu’envoyait le capitaine Hobson vint à bord de l’Astrolabe offrir ses services aux membres de l’expédition; le commandant d’Urville répondit qu’en l’absence d’instructions de son gouvernement, il ne pouvait en aucune façon reconnaître M. Hobson comme gouverneur de la Nouvelle-Zélande, mais que volontiers il lui ferait visite en sa qualité d’officier de la marine royale britannique. La réponse semblait attendue, le secrétaire affirma que son capitaine serait venu s’il n’avait été atteint d’une indisposition, qu’il serait flatté de recevoir la visite du commandant français. Les jours s’écoulèrent, et lorsque M. d’Urville se présenta chez le capitaine Hobson, celui-ci était en excursion.

Le dimanche 2 mai 1840, les états-majors des deux corvettes et deux détachemens des équipages en armes allèrent à terre pour assister à l’office divin. La chapelle était trop petite pour contenir la foule que devait attirer la solennité ; une tente avait été dressée par nos matelots et ornée de tous les pavillons de signaux des navires. Naturels convertis, étrangers catholiques, curieux de tout genre, accoururent. Les brillans uniformes des officiers de marine et les