Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’unir aux guerriers d’Otago et aller chercher vengeance dans la tribu ennemie. Dumont d’Urville voit dans les environs d’Akaroa un pays d’aspect agréable, mais l’étendue de la terre propre aux cultures est si restreinte qu’il juge malheureuse la pensée d’y fonder une colonie. Comme on assurait qu’une expédition partie des ports de France devait venir débarquer à la péninsule de Banks, le marin s’élève contre l’idée de transporter des Français dans des pays aussi éloignés que la Nouvelle-Zélande en face des établissemens prospères de la Grande-Bretagne.

Le 29 avril, les corvettes mouillaient à la baie des Iles. Tant de changemens déjà survenus, en cette région de la Nouvelle-Zélande, font qu’à chaque époque la description ne répond plus à la description qui l’a précédée. On est en 1840, et à la baie des Iles, si les montagnes environnantes couvertes de forêts épaisses, les grandes herbes jaunies, ne témoignaient d’une absence presque totale d’agriculture, sans illusion, on pourrait se croire dans un port d’Europe. Il y a des navires à l’ancre : bâtimens de guerre, bâtimens de pèche et de commerce, la rade est sillonnée par de nombreuses embarcations. Du pont des vaisseaux, on voit le village de Kororarika ; il est maintenant composé de cases couvertes en chaume qu’habitent des colons anglais ; — quelques misérables huttes d’indigènes éveillent encore le souvenir des anciens maîtres du sol. Sur tout le contour de la baie, éparses le long du rivage, se dressent des maisonnettes blanches; tout au fond, près d’une rivière, apparaissent les établissemens des missions protestantes. On évaluait alors les Européens établis sur la baie à plusieurs centaines, et au milieu de cette population, on ne parvenait point à se procurer les comestibles les plus ordinaires pour les tables du bord ; il fallait vivre des subsistances envoyées de Sidney.

Le commandant de l’expédition et le capitaine Jacquinot se rendirent au presbytère de la mission catholique, — une pauvre demeure. L’évêque était en tournée; son vicaire, l’abbé Petit, joyeux de recevoir des compatriotes, informa M. d’Urville des événemens qui avaient suivi la prise de possession de la Nouvelle-Zélande par le gouvernement britannique. A Kororarika, où se rencontraient des gens de toute origine, régnait une vive irritation motivée par les actes de l’autorité anglaise. Il y avait dans le village cinq ou six Français qui s’étaient donné la peine inutile de protester contre la prise de possession. Ils se disaient, plus que les autres Européens, exposés aux vexations des agens de M. Hobson ; — on doit les croire. La présence de nos missionnaires troublait aussi la quiétude des pasteurs méthodistes. En quittant la mission catholique, MM. d’Urville et Jacquinot vont parcourir Kororarika. Au centre de la plaine, triste et morne, existe encore le village des indigènes entouré de palissades comme au vieux temps. Autour se sont groupées sans