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baleine, il dut se rendre à l’ile Chatham, d’après l’avis donné par un maître baleinier américain que le navire le Jean-Bart avait été saisi et détruit par les naturels, l’équipage massacré. Le commandant de l’Héroïne, croyant de son devoir de tirer vengeance sur les insulaires de la mort de ses compatriotes, conservait l’espérance de porter secours à des hommes échappés au massacre. Il parut bientôt dans la baie occidentale de l’île, où il ne tarda point à se convaincre de l’exactitude du récit; on voyait encore les restes du vaisseau incendié. Le capitaine Cécille, ayant appris à la baie des Iles que les pahs de Chatham sont hors de portée du canon des bâtimens au mouillage, mit à terre une force respectable. La troupe ne rencontra nulle résistance ; tous les pahs étaient abandonnés. On aperçut à peine quelques Néo-Zélandais fuyant dans les bois et l’on ne jugea point prudent de les suivre. Un des canots du Jean-Bart fut retrouvé; on brûla toutes les fortifications et toutes les pirogues qu’on put découvrir afin de priver les insulaires de moyens d’attaquer d’autres navires. Le commandant de l’Héroïne, ayant réussi à s’emparer d’un des principaux chefs de l’île, Eitouna, et de deux des gens de sa tribu, les retint à son bord comme prisonniers. Eitouna fournit les seuls renseignemens qu’on parvint à recueillir.

Le Jean-Bart, arrivant à l’île Chatham au commencement du mois de mai, se trouvait tout de suite accosté par plusieurs pirogues appartenant à deux tribus de la Nouvelle-Zélande. Vers deux heures de l’après-midi, il jeta l’ancre dans la petite baie de Waïtangui. Le capitaine, s’effrayant de voir tant d’indigènes à son bord, pria les chefs de retourner au rivage. Eitouna, donnant à ses gens l’ordre de partir, quelques-uns obéirent, plusieurs demeurèrent pour trafiquer; tout le monde de Eimaré, l’autre chef, voulut rester. Eitouna, entouré d’un groupe de sa tribu, se tenait dans la cabine du capitaine; tout à coup il entendit un grand tumulte sur le pont. Les insulaires essayaient de sortir, un Néo-Zélandais, blessé, tomba au milieu d’eux, ils rentrèrent se cacher dans la cabine, où ils furent pourchassés et frappés, plusieurs mortellement; à leur tour, les Néo-Zélandais, s’emparant de fusils, tuèrent deux matelots. Bientôt tout devint silencieux. Eitouna supposait que le maître et l’équipage, alarmés en voyant les insulaires en possession d’armes à feu, avaient barricadé toutes les issues afin d’avoir le temps de préparer les canots et de s’enfuir, car lorsque avec ses gens il put remonter sur le pont, il n’y avait plus personne. Il déclara que, du côté des Néo-Zélandais, il y eut, outre vingt blessés, vingt-huit hommes et une femme tués. D’après son récit, l’attaque aurait été provoquée par le peuple de Eimaré, cherchant à prendre des objets que les matelots s’obstinaient à défendre. Eitouna ne cessait d’affirmer que, si les insulaires n’étaient point parvenus à saisir des armes à