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ne fut pas de longue durée ; mais il était ouvert à tous les enthousiasmes, et il avait subi l’émotion que le public avait éprouvée en entendant un langage auquel depuis longtemps il n’était plus accoutumé. Mme Dorval, à la fois languissante et dramatique, avait été pour beaucoup dans le succès ; le mérite de la pièce était discutable, et la faveur avec laquelle elle fut accueillie était une protestation contre les absurdités où s’étaient laissé entraîner les derniers dramaturges romantiques. Les Burgraves, qui étaient bien plus un poème qu’un drame, qui par la longueur des développemens avaient fatigué les spectateurs, qui par l’invraisemblance de la conception avaient exigé de la crédulité humaine plus qu’elle ne peut accorder, les Burgraves étaient tombés, au mois de mars, sur la scène de la Comédie-Française, malgré des vers d’une beauté supérieure. On en avait ri. À ce moment, une comète flambait dans le ciel ; on avait fait une caricature représentant Victor Hugo regardant les étoiles ; Laurent-Jan s’était chargé de la légende :


Hugo, lorgnant les voûtes bleues,
Se demande avec embarras
Pourquoi les astres ont des queues
Quand les Burgraves n’en ont pas ?


Le drame romantique avec le bric-à-brac du moyen âge, les fioles de poison, les dagues de Tolède, les drogues merveilleuses et les tirades historiques, était bien malade ; Lucrèce lui donna le coup de grâce ; le petit caillou de David tua Goliath. Nous accusions Flaubert de trahir ses dieux, et nous l’appelions Campistron ; il n’en démordait pas et, imitant à s’y méprendre l’accent de Mme Dorval, il récitait :

Lève-toi, Laodice, et va puiser dans l’urne
L’huile qui doit brûler dans la lampe nocturne ;

Alfred Le Poitevin, de sa voix de couleuvre, lui sifflait les vers des Burgraves :


..... Quand ils étaient en marche,
Ils enjambaient les ponts dont on leur brisait l’arche,
Faisaient, musique en tête et sonnant du clairon,
Face à toute une armée…


et ajoutait : « Quand ton Ponsard fera des vers comme ceux-là, on pourra te permettre de prononcer son nom. » À la fin, Flaubert s’avoua vaincu et renonça pour toujours à Ponsard ; il n’eut pas