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avec les indigènes avaient été continuelles ; le commandant de l’Astrolabe s’attendait à revoir une foule d’amis. A l’aide des lunettes, on examine le plus proche village où naguère s’agitait une population nombreuse. Le village est abandonné, les cases désertes tombent ne ruines ; les principaux chefs de la contrée avaient été tués ; nos marins constatent les résultats des fureurs de Hongi. Un rangatira vint à bord avec quelques hommes ; c’était ce Moïhangi, serviteur et compagnon du docteur Savage, le premier Néo-Zélandais qui visita l’Angleterre. Il demandait tous les objets imaginables ; on lui promit des fusils et de la poudre s’il apportait des vivres. Le malheureux n’avait rien à offrir ; le pays était ruiné ; ses rares habitans se trouvaient dans la misère. M. d’Urville, informé de l’abandon des missions de Wangaroa et de Kéri-Kéri, apprenant que tous les Européens, au nombre d’une quarantaine, étaient réunis à Pahia, se rendit dans cette localité. Il connaissait déjà l’établissement ; il le trouva fort embelli. De charmans jardins avaient été formés. Les missionnaires reçurent avec politesse les officiers de l’Astrolabe et leur confirmèrent les récits des insulaires touchant les désastres survenus dans la contrée. Les habitans de Paroa avaient été dispersés ; la place autrefois florissante sous l’autorité de Korokoro n’était plus qu’un désert. Le pah, qui avait paru inexpugnable, présentait le spectacle d’un amas confus de cases à demi détruites.

On avait tant parlé au capitaine d’Urville des merveilleuses forêts de la Kawa-Kawa, qu’il conçut un vif désir de les voir. L’occasion était propice, un missionnaire offrant d’être son guide ; pendant le trajet, on fut obligé à une multitude de détours pour éviter de traverser les champs de patates réputés tabous[1], et le commandant de l’Astrolabe dut constater combien les idées superstitieuses demeuraient vives parmi les naturels. En cheminant, on remarqua sur une éminence des huttes construites avec un soin particulier, portant des sculptures d’un goût bizarre, mais d’un travail raffiné. C’étaient des cases destinées à servir de magasin pour les patates de la récolte prochaine; les hommes, même les chefs, n’en avaient point d’aussi belles. En contemplant les arbres de hauteur prodigieuse, en parcourant la forêt superbe qu’avait connue son compatriote Marion, le capitaine d’Urville, l’émotion au cœur, regretta de n’avoir vu que les rivages d’une terre dont l’intérieur recèle des beautés de nature si puissantes.

Le capitaine d’Urville quitta la Nouvelle-Zélande pour gagner la région des tropiques, ayant à juste titre la confiance d’avoir dignement servi la science.

  1. Sacrés.