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demeura toute une nuit en péril. La navigation qui s’effectue dans un chenal étroit et encaissé en ire deux hautes chaînes de montagnes est bien étrange; les marins éprouvent un étonnement indescriptible. D’un côté, il y a d’épaisses forêts, de l’autre, des fougères ou des taillis; en arrière, on voit fuir à l’horizon les côtes de la baie Tasman; en avant, on distingue, grandissant à chaque minute, les îles et les îlots de la baie de l’Amirauté. Par malheur, existe une passe difficile à franchir; en présence de roches et d’écueils où le navire pouvait se briser, il y eut à bord des heures de profonde anxiété. Une fois dans les eaux paisibles de la baie de l’Amirauté, chacun sentit en son cœur un épanouissement; on était sauvé; on avait reconnu que la terre séparant les deux baies est une île, on avait fait une découverte. Tous les officiers de l’Astrolabe veulent que le nom du commandant désigne cette terre ; — on l’appellera l’île d’Urville.

L’Astrolabe passa devant le canal de la Reine-Charlotte et, on doit le croire, parmi l’état-major fut évoqué le souvenir du grand navigateur qui, le premier, traça la configuration de la Nouvelle-Zélande. La corvette s’étant engagée dans le détroit de Cook, pénétra dans un grand enfoncement de la côte de Te-lka-a-Mawi; le capitaine, avec quelques compagnons, suivit dans sa baleinière, sur une étendue de trois milles, un rivage partout inabordable, le ressac d’une violence extrême rendant toute approche dangereuse[1]. Dumont d’Urville voulut inspecter avec soin la côte de l’île du nord, dont Cook avait indiqué les grandes lignes. Il dira comment la baie de Hauke laissait voir sur ses bords de grands bassins d’une eau paisible et de charmans paysages; comment on distinguait sur trois ou quatre plans disposés en amphithéâtre le sol s’élevant par degrés jusqu’aux plus hautes montagnes de l’intérieur; — on jugea cette partie de la Nouvelle-Zélande la plus riche et la plus attrayante. Des fumées nombreuses montant de divers points, apprenaient aux navigateurs que la région était bien peuplée. L’Astrolabe alla jeter l’ancre dans la baie de Tologa[2], où cinquante années auparavant avait mouillé l’Endeavour. Des officiers mettaient pied à terre; MM. Jacquinot et Lottin pour déterminer la latitude et la longitude de l’aiguade de Cook, l’artiste, M. de Sainson, pour en faire le dessin, les naturalistes, MM. Quoy et Gaimard, afin de battre un peu la campagne; M. Paris dut sonder les écueils de la passe. Des pirogues pleines de monde accostèrent la corvette ; le trafic s’engagea de la façon la plus bruyante ; les indigènes apportaient des vivres qu’on soldait avec des haches, différens outils et des verroteries. On

  1. Sur la carte de l’Astrolabe, cet enfoncement de la côte a été inscrit sous le nom de Baie-Inutile.
  2. Houa-Houa des indigènes.