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où n’abordaient jamais de vaisseaux, de voir de près des peuplades qui n’avaient jamais été en contact avec les Européens, de saisir encore la race indigène dans sa condition primitive.

Parmi les gens qui habitaient sur les rives de la baie Tasman, plusieurs des hommes se faisaient remarquer par une belle prestance, un air de distinction, des tatouages compliqués; les autres étaient d’apparence vulgaire et à première vue on les jugeait d’une race différente. Les Néo-Zélandais de cette région, même les chefs, ne témoignaient, au sujet des Européens, que d’idées assez confuses, puisées peut-être dans des entretiens avec les tribus voisines. Ils n’avaient point d’armes à feu et parlaient d’ennemis redoutés possédant des fusils. Ils cultivaient les pommes de terre, ne connaissaient les porcs que par le nom, ne prisaient en aucune façon les instrumens de fer et, dans les échanges, préféraient atout les étoffes aux vives couleurs. Les habitans de cette côte, inférieurs par l’industrie à ceux du nord, semblaient l’être également par l’intelligence.

Aux environs de la baie, le terrain est fort inégal ; dans la végétation, les fougères ont une extrême prépondérance et les espèces ligneuses encombrent les ravins humides. Le commandant de l’Astrolabe, en promenade, suivit un large ruisseau coulant dans un fond rempli de grandes fougères et de beaux arbres, et bientôt il se mit à gravir des mornes. A la hauteur d’une centaine de mètres, le sol était presque entièrement occupé par la fougère comestible dont les tiges rameuses enchevêtrées formaient d’épais fourrés; à peine voyait-on quelques arbustes épars[1]. Là, nul oiseau ne se fait entendre, aucun insecte ne bourdonne; l’absence de tout être animé paraît complète; le silence est absolu, solennel, lugubre ; on ne découvre nulle part la moindre trace de la vie humaine, les naturels se tenant près des rivages où l’existence est facile et ne songeant guère à s’égarer dans ces tristes solitudes. Le capitaine d’Urville ayant, malgré le trajet pénible, atteint le plus haut monticule, se trouva bien dédommagé de la fatigue. De ce point élevé, la vue complète de la baie Tasman s’offre aux regards et apparaît dans son ensemble un vaste bassin séparé de l’anse de l’Astrolabe par un isthme n’ayant guère plus d’un kilomètre de large. Dans ce havre, que le marin juge tout de suite parfait pour de petits bâtimens, se déchargent trois gros torrens d’un effet d’autant plus heureux, qu’alentour s’étend une immense forêt d’arbres superbes.

Les travaux hydrographiques de la station se trouvant accomplis, l’Astrolabe s’engagea dans un canal qui semblait établir une communication entre la baie Tasman et la baie de l’Amirauté. Surprise par le gros temps au voisinage de rochers, la corvette française

  1. Des espèces du genre Leptospermum.