Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouvé moyen de lui faire tenir ; en la lisant, Mme Goldwin rougit comme si elle eût reçu une insulte personnelle,-puis elle fit asseoir Nellie auprès d’elle et parla très sérieusement en lui montrant quelles conséquences funestes pouvaient résulter d’une passion qui de sa part sans doute était sincère, mais qui chez Athelstone n’était qu’un vain caprice ; elle fut éloquente et sévère. Mme Goldwin n’ignorait pas qu’en matière d’amputation, le scalpel doit faire son œuvre d’une façon rapide, et impitoyable : or il s’agissait d’arracher une fois pour toutes du cœur où il s’était développé au point de le remplir tout entier ce fatal amour. Nellie pleura beaucoup ; pour la première fois peut-être elle voyait complètement clair au dedans d’elle-même. Touchée de cette agitation, qui ressemblait à de l’épouvante, Mme Goldwin écrivit à son cousin de ne pas venir ce soir-là, car sa présence ne pourrait, en de telles conjonctures, que troubler et humilier profondément la pauvre fille ; Saint-John obéit deux jours de suite. Le troisième jour, il rencontra lord Athelstone, qui sortait de chez Mme Goldwin la tête haute, l’air victorieux. S’arrêtant droit devant lui :

— Eh bien ! dit Wilfred, vous le voyez, tout est arrangé !

Sur ces mots ambigus, il lui serra la main avec force, et Hubert répondit à son étreinte.

— Il a vu ma cousine, il s’est excusé, il a promis tout ce qu’elle a voulu… Allons ! il est encore capable d’un mouvement généreux, pensa l’honnête garçon en montant l’escalier de la maison où demeurait Mme Goldwin.

Celle-ci le reçut d’un air triste et contraint ; ses yeux exprimaient une pitié profonde. Mais ce fut à peine s’il y prit garde.

— J’apporte, dit-il, une grande nouvelle. Miss Brabazon est de retour ; cela nous sauve,.. vous comprenez ?

Mme Goldwin secoua la tête.

— Trop tard ! murmura-t-elle. Hélas ! elle revient trop tard.

— Trop tard ! que voulez-vous dire ? Parlez, Mary.

— Il vient de faire la démarche la plus imprévue,.. je refuse encore de me rendre à l’évidence,.. cependant… Bref il a demandé Nellie en mariage, et elle l’a agréé.

Il supporta le coup comme un homme doit tout supporter : avec fermeté, en silence. S’asseyant, il cacha son visage entre ses mains pendant quelques minutes.

— Vous croyez, demanda-t-il enfin d’une voix rauque, que c’est irrévocable ? Sa mère…

— Il affirme qu’il l’amènera à consentir… Mon pauvre Hubert, ne vous désolez pas trop… C’était impossible, voyez-vous,.. elle l’aime tant ! Elle l’aime au point de préférer le malheur avec lui à une vie douce et calme auprès d’un autre.