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— Qui est-elle? demanda Sylvia.

Mme Goldwin vous l’a dit, la gouvernante de ses enfans, répondit lady Frances d’un ton qui impliquait qu’elle en savait plus long.

— Mais qu’était-elle avant cela ?

— Ne vous rappelez-vous pas les méchancetés que maman vous a rapportées sur cette amourette de village ?

— Une villageoise, cette jeune fille?.. C’est impossible...

— C’est vrai pourtant. Vous n’avez donc pas vu que lady Athelstone était au supplice ?

— J’ai vu que l’affectueuse déférence de lord Athelstone à son égard n’avait rien de commun avec les manières d’un homme qui... En somme, je ne sais que penser...

Elle s’informa aussitôt de la façon la plus franche, questionnant Wilfred sans détours, quand il la rejoignit. Le jeune homme répondit avec une sincérité relative, c’cst-à-ire qu’il lui raconta tout ce qui concernait Nellie, sauf le goût qu’il avait eu pour elle, sa fameuse querelle avec le cousin Sam et les mesures prises par feu son père en conséquence : — Certainement elle vous intéressera quand vous la connaîtrez, ajouta-t-il.

— Je n’en doute pas, répondit Sylvia pensive.

Le lendemain, miss Brabazon alla, en effet, voir Mme Goldwin et fut reçue, bien qu’une heure auparavant la porte eût été fermée à Wilfred Athelstone. Sylvia, qui avait été frappée la veille de la beauté du jeune visage voilé de crêpe, le fut plus encore envoyant à découvert cette petite tête d’un dessin classique, cet ovale pur, ces yeux limpides. Plus elle étudiait Nellie, plus elle s’éprenait de sa douceur. Comme une fleur qui s’entr’ouvre pétale par pétale sous la chaude influence du soleil, l’âme de Nellie s’ouvrit aux rayons de la bienveillance de Sylvia. Il lui semblait, en la regardant, en l’écoutant, avoir affaire à une sorte de déité placée bien au-dessus de tout ce qu’elle avait jamais rencontré. La grâce lente de ses mouvemens, la douceur sérieuse de ses manières, la bizarrerie même de sa toilette, tout contribua à la pénétrer d’admiration pour une nature supérieure aux choses mesquines et artificielles. Quant à l’idée d’être mise en balance avec cette créature incomparable, elle ne traversa pas, fût-ce une seconde, l’esprit de la pauvre enfant... La rivalité, la jalousie étaient impossibles;.. elle n’existait plus pour Wilfred, c’en était fait, et à la question qui lui revenait souvent à l’esprit depuis la veille : — Est-il aimé de la belle dame qui marchait à ses côtés et l’aime-t-il ? — elle ne put s’empêcher de répondre après son entrevue avec Sylvia : — Il doit l’aimer... Sa femme sera digne de lui.

Que de larmes elle versa cette nuit-là en priant pour Wilfred à deux genoux ! Cependant elle se croyait capable d’affronter maintenant