Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bénédiction au contraire, mais j’ai cru que la malheureuse enfant ne pourrait supporter ce coup ; sa santé ne s’est rétablie que peu à peu. J’espère que le voyage lui sera salutaire.

— On m’avait dit déjà, madame, combien vous étiez bonne. Il est si rare que les gouvernantes soient traitées de cette façon ! Laissez-moi vous remercier personnellement...

La langue de lady Athelstone s’embarrassa; elle venait de voir entrer Wilfred et Sylvia. Comment son fils allait-il aborder Nellie? Que se passerait-il ?

Nellie cependant était redevenue jusqu’à un certain point maîtresse d’elle-même ; abaissant un voile de crêpe sur son pâle visage, elle fit bonne contenance devant l’épreuve.

— M’évitera-t-il encore ? pensait-elle en se rappelant leur dernière rencontre et comme il s’était détourné d’elle sur la tombe de son père.

Mais non,.. il ne lui donna pas ce nouveau chagrin. Wilfred Athelstone ignorait les demi-mesures. D’abord une rougeur fugitive lui monta aux joues,.. étonnement, hésitation?.. Quoi qu’il en fût, il se remit très vite, traversa la salle et vint tendre la main à Nellie avec un affectueux sourire. Ce qu’il lui dit, ce qu’elle parvint à répondre, elle ne se le rappela jamais ; elle eut le sentiment que la foule passait, les laissant seuls... seuls auprès de lady Athelstone, car Mme Goldwin causait maintenant avec les dames Brabazon, qu’elle avait rencontrées autrefois durant un séjour à des eaux quelconques et qui semblaient la retrouver avec plaisir.

Ce que Nellie se rappela jusqu’à son dernier jour, ce fut le regard de tendre compassion que Wilfred arrêta sur ses vêtemens de deuil. Ils restèrent un grand quart d’heure ensemble. Lady Athelstone était sur les épines ; elle comptait cependant que sa présence empêcherait cet entretien d’être compromettant.

— Je vous inviterai à dîner, ma chère Nellie, en allant rendre visite à Mme Goldwin, dit-elle pour mettre fin à la conversation; ne venez pas me voir jusque-là. Vous avez une situation excellente... Gardez-la bien et ne vous laissez pas gâter surtout,.. ce serait dommage.

Qu’éprouvait Wilfred cependant? se demanda-t-il si sa passion presque enfantine pour Nellie avait survécu à une séparation de dix-huit mois? la pitié que lui inspirait le deuil de l’orpheline se mêla-t-elle à une émotion plus tendre ou bien la vanité satisfaite fut-elle seule en jeu chez lui lorsqu’il vit combien sa présence remuait jusqu’aux profondeurs de son être cette ravissante fille qui était l’objet de la curiosité générale? D’autres pouvaient s’y tromper, mais l’accent brisé de sa voix, le frémissement de ses petites mains gantées de noir l’avertissaient assez pour sa part qu’elle n’avait rien oublié...