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Pâle et l’air souffrant, il lui parlait du songe pénible qui avait terminé pour lui une nuit d’insomnie. Il avait rêvé qu’il tombait d’une grande hauteur et restait paralysé de tous ses membres : — Est-ce prophétique? ajouta-t-il. Dois-je, en effet, tomber de si haut pour perdre du coup toutes les énergies de mon âme ?

Sylvia hésitait. Elle se demandait s’il fallait lui tendre la main et l’aider à aborder sur les sommets? L’appel de sa mère l’invitant à passer dans les galeries du Casino lui vint en aide :

— Notre pique-nique à Castel-Fusano aura lieu après-demain... Alors je vous répondrai, dit-elle.

Il y a dans une salle de la villa Albani un bas-relief appartenant à la plus belle période de l’art grec et qui représente, assure-t-on, la séparation d’Eurydice et d’Orphée, coupable d’avoir désobéi à l’ordre souverain de ne point tourner la tête. La douleur d’Orphée, la soumission navrée d’Eurydice qui s’éloigne, conduite par Mercure impassible, sont divinement exprimées. Point de violent désespoir; le sentiment est à la fois intense et contenu. Devant cette majestueuse composition se tenaient deux dames ; l’une d’elles, vêtue de velours et de fourrures, encore jolie, bien que d’une complexion évidemment maladive, s’appuyait au bras de sa compagne, en grand deuil, la Psyché signalée par M. Spooner. Tandis qu’elle contemplait le bas-relief, une mélancolie profonde se reflétait sur les traits de celle-ci. N’était-ce pas la plus pathétique des allégories? Elle y voyait le danger de regarder derrière soi, le crime de rappeler par le désir les rapides délices envolées à jamais.

Par hasard, lady Athelstone et lady Bannockburn entrèrent dans cette salle, précédant de quelques minutes le reste de la société.

— Voilà, je suppose, ce que le Guide Murray enjoint d’admirer, dit lady Athelstone en s’approchant du marbre attique.

Au son de sa voix, la jeune fille en deuil tourna vivement la tête avec un cri de surprise,

— Grand Dieu! est-ce possible?.. Nellie Dawson !

— Oh ! mylady !

Elle luttait contre son émotion, mais ce fut en vain; la pauvre enfant fondit en larmes.

— Nellie est orpheline; peut-être l’ignoriez-vous ? murmura Mme Goldwin. Il n’y a pas un mois que je l’ai envoyée faire ses adieux à sa mère avant de partir ; rien chez Mme Dawson ne semblait indiquer une fin prochaine, et cependant, à peine avions-nous eu le temps d’atteindre Paris que la nouvelle de sa mort nous est parvenue.

— Mon Dieu !.. Je suis désolée !.. Une si digne femme !.. La mort subite est quelque chose d’affreux...

— Pour ceux qui survivent, interrompit Mme Goldwin. Pour une personne aussi bien préparée que l’était la mère de Nellie, c’est une