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XV.

La femme distinguée sur laquelle se concentrèrent dorénavant toutes les pensées de lord Athelstone offrait un assemblage de qualités contradictoires au dire du vulgaire. Par exemple, bien des gens ne pouvaient admettre que son goût pour la parure, et la parure étrange, fût conciliable avec la plus complète absence de coquetterie. Le fait était qu’elle aimait en artiste tout ce qui lui semblait charmant de forme et de couleur, et qu’elle ne voyait aucune raison pour ne point porter ce qui lui plaisait. Son père avait recherché la société d’hommes de talent, souvent audacieux dans leurs appréciations des choses de ce monde et ignorans des arrêts du comme il faut ou révoltés contre ces arrêts; elle avait grandi au milieu d’eux, préservée de leurs exagérations par des instincts très purs et très élevés qui lui permettaient de vivre dans une sphère à part, en compagnie de figures imaginaires bien supérieures à celles que la vie lui montrait. Jamais encore elle n’avait éprouvé de désillusion, jamais elle n’avait aimé, elle était heureuse au milieu de son rêve.

Mme Brabazon n’avait point cherché à exercer la moindre influence sur sa fille, qu’elle sentait trop au-dessus d’elle, mais une tendre affection existait entre ces deux femmes, dont l’une était douée des plus belles facultés intellectuelles, tandis que l’autre se bornait à être aimable et bonne. Profondément indolente en outre, Mme Brabazon n’avait jamais rien vu que par les yeux de son mari, puis par ceux de sa fille. Son plaisir était de rester chez elle à lire des romans français et à savourer les menus commérages de la prima sera. L’élément italien de sa société se groupait autour d’elle, tandis que Sylvia causait d’art ou de littérature avec des personnes dont Mme Brabazon ne connaissait guère que les noms. C’étaient « les amis de sa fille; » ils appartenaient à une catégorie de choses qu’elle acceptait sans les comprendre : il en avait été de même du temps de son mari.

Sur les pressantes instances de Wilfred, lady Athelstone déposa une carte à l’hôtel de l’Europe ; après tout, ces gens-là étaient reçus à l’ambassade et chez lady Bannockburn ; elle pouvait se risquer. Le soir même son fils, parut en personne dans le salon de Mme Brabazon, qui lui fit l’accueil le plus cordial. Il fut émerveillé tout d’abord de la transformation que pouvait subir un banal appartement d’hôtel. De vieilles tapisseries italiennes d’un ton harmonieux couvraient les portes et les panneaux ; des études à l’huile, œuvres de Sylvia, et un chevalet posé dans l’embrasure de la fenêtre, donnaient à cette grande pièce l’aspect d’un atelier; des livres anglais, français et allemands traînaient sur toutes les tables ; à côté du piano était jetée