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— Miss Sylvia Brabazon... Oui, on devine en elle, au premier aspect, toutes les supériorités d’esprit et de caractère dont son amie la déclarait pourvue. Au physique, elle ne ressemble à aucune autre femme, et je suis sûr qu’il doit en être de même au moral.

— Brabazon? répétait d’un air pensif lady Athelstone; j’ai connu autrefois des Brabazon...

— Ce ne devait pas être ceux-là. Le père, qui est mort depuis plusieurs années, avait épousé une Italienne. Ces dames ont vécu principalement en Italie, et leur société se recrute surtout dans le monde artiste et littéraire. Elles sont descendues à l’Hôtel de l’Europe... Il faudra que je parvienne jusqu’à elles.

— Je vais aujourd’hui à l’ambassade et je m’informerai,.. répondit lady Athelstone avec un soupir.

Son cher fils, si brillamment doué qu’il fût, lui donnait de continuels soucis : toujours prêt à tomber d’une extravagance dans une autre !.. Cette fois cependant il lui parut que le fougueux jeune homme ne s’était pas fourvoyé : les réponses qu’elle reçut à l’ambassade furent satisfaisantes : la naissance de Mme Brabazon passait pour assez obscure, il est vrai, mais la réputation de la mère et de la fille étaient irréprochables. Quoique riches, elles vivaient sans faste et d’une vie errante : six mois dans une ville d’Italie, six mois dans une autre. L’éducation et la santé de Sylvia étaient leur unique souci ; maintenant la belle héritière avait vingt-six ans ; elle continuait d’aimer les voyages autant qu’elle dédaignait le monde proprement dit.

— Les habitués de cette singulière maison ne sont guère que des peintres et des hommes de lettres, dit à lord Athelstone un jeune attaché qu’il rencontra au club anglais, — outre les coureurs de dot italiens que devrait déconcerter la superbe indifférence de miss Sylvia. Moi j’y vais quelquefois, mais mon faible cerveau n’est pas à la hauteur de ces conversations transcendantes.

— Ne pourriez-vous me présenter ?

— Non, j’ai essayé une fois de leur conduire un ami, et elles m’ont fait entendre qu’elles ne permettaient pas qu’on leur amenât des hôtes, se réservant le droit de les choisir. La situation sociale des gens leur importe peu. Miss Brabazon désirera sans doute vous connaître parce que vous êtes un poète, voilà tout.

Rien n’aurait pu exciter davantage le désir de Wilfred d’entrer en rapport avec ces personnes originales. Fort heureusement l’occasion cherchée se présenta, dès le dimanche suivant, à l’ambassade. Lady Athelstone fut quelque peu scandalisée par le costume trop pittoresque, à son gré, de miss Sylvia, mais dut reconnaître bientôt qu’aucune prétention ne se mêlait à cette excentricité d’artiste. Elle était