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le soir, contempler le coucher du soleil et admirer l’un des plus beaux panoramas qu’on puisse voir. Derrière eux, les monts de la Samarie prolongent leurs ondulations puissantes jusqu’au Carmel, qui s’avance majestueusement dans la mer ; à l’autre extrémité de la plaine, une série de montagnes moins élevées, mais dont les formes sont agréables à l’œil et qui toutes rappellent de grands souvenirs historiques, arrêtent le regard. Voici le mont Gelboë, où Saül, vaincu par les Philistins, périt avec trois de ses fils ; plus loin, c’est le petit Hermon, sur lequel brille, comme un point blanc, je ne sais quelle mosquée ou tombeau de santon ; en se rapprochant, on aperçoit les collines de la Galilée. L’immense plaine d’Esdrelon s’étend au milieu de ces montagnes. La lumière du soir couvre ce tableau majestueux et charmant d’une lumière dorée d’une délicatesse inimaginable. Les jardins de la ville sont remplis d’oiseaux dont on entend les derniers chants. Sur les arbres les plus élevés viennent s’abattre des vols de cigognes qui se perchent sur leurs branches pour passer la nuit. Par les soirées très claires, on distingue Nazareth. On y sera demain !

Djénine est la seule étape de mon voyage en Palestine où je n’aie pas couché dans un presbytère ou dans un couvent. Il n’y a pas de mission catholique dans cette ville ; par conséquent, il n’y a pas non plus d’asile ouvert aux voyageurs chrétiens. J’ai profité de l’occasion pour m’introduire dans une maison arabe et contempler d’un peu plus près l’existence qu’on y mène. Cette maison se composait d’une cour où logeaient les animaux, d’une salle inférieure où toute la famille s’était entassée pour me laisser la libre disposition de la chambre principale, sorte de pièce élevée où se tenaient d’ordinaire hommes, femmes, enfans, animaux, mobilier, etc. On l’avait démeublée à mon usage ; mais il y restait encore dans les coins de grandes outres remplies d’huile, tandis que le long des murs étaient suspendus des linges, de vieilles robes et autres guenilles d’où sortaient des parfums peu agréables et des puces moins agréables encore. La porte était la seule ouverture, aucune fenêtre n’étant pratiquée dans la muraille. Une natte était étendue sur le plancher ; les indigènes n’y marchaient qu’après s’être déchaussés. Je m’amusai longtemps à contempler, dans la salle inférieure, le spectacle de la famille réunie autour d’une sorte de brasero où se faisait la cuisine commune. L’éclat de la braise se réfléchissait sur les visages et sur les costumes en teintes rouges du plus bel effet. Les femmes parlaient beaucoup, les hommes restaient immobiles, les enfans dormaient. La nuit arrivée, le brasero presque éteint, chacun s’étendit sans changer de place et commença à ronfler. Je n’avais pas envie d’en faire autant. Ma chambre ne me tentait guère. En revanche, j’étais séduit par une