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ouvertes sur le ciel, il ne reste rien aujourd’hui. Ne nous en plaignons pas néanmoins. C’est Jésus qui a porté les coups les plus terribles à Sion et à Garizim, à Jérusalem et à Sichem, et les malédictions tombées de sa bouche sur tous ces sanctuaires plus ou moins idolâtres, quoiqu’elles n’aient pas réussi à détourner l’humanité des superstitions locales, ont créé, pour une minorité d’élite, un culte général, universel, désintéressé, dégagé de toute forme exclusive, détaché de tout lieu spécial, sans lien avec les rites conventionnels, un culte d’une originalité telle que ni Juda, ni Éphraïm, ni la Judée, ni .la Samarie n’en avaient eu un instant la vision et qu’aujourd’hui encore presque tous ceux qui se croient chrétiens sont incapables de le comprendre et de le pratiquer. Chose curieuse ! ce n’est pas dans le pays de Génézareth, au bord de ce lac de Tibériade où se sont déroulées les scènes les plus charmantes de sa vie, où se sont manifestées ses inspirations les plus sublimes, que Jésus a posé les fondemens du culte nouveau ; c’est en Samarie, c’est à quelques pas de Sichem, c’est-à-dire au centre même des ennemis de sa race et des croyances des siens. Et l’interlocuteur qu’il a choisi pour lui révéler l’œuvre qu’il venait accomplir n’a pas été moins étrange que le lieu où il la lui a révélée. On connaît l’admirable épisode de la Samaritaine ; mais il faut le relire à Naplouse, près du puits qu’on vous montre comme étant celui où Jésus a eu avec la pécheresse le colloque où il a exposé, dans les termes les plus précis, le but et la portée de sa mission divine. Se mettant tout de suite au-dessus des préjugés religieux de son pays, il demande à boire à la Samaritaine ; étonnée d’une telle familiarité, celle-ci lui répond : « Comment ! vous qui êtes Juif, me demandez-vous à boire, à moi qui suis une femme samaritaine ? car les Juifs n’ont point de commerce avec les Samaritains. » La suite de la conversation amène la Samaritaine, de plus en plus surprise et émerveillée, à s’écrier : « Seigneur, je vois que vous êtes prophète ! Nos pères ont adoré sur cette montagne, et vous dites, vous, que Jérusalem est le lieu où il faut adorer ! » Elle ne comprend pas encore la pensée divine. Jésus lui dit : « Femme, croyez-moi, voici l’heure où vous n’adorerez le Père ni sur cette montagne, ni à Jérusalem. Vous adorez, vous, ce que vous ne connaissez point : nous, nous adorons ce que nous connaissons, parce que le salut vient des Juifs. Mais vient une heure, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car ce sont de tels adorateurs que le Père cherche. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité. » .Hélas ! l’heure dont Jésus parlait était-elle venue ? est-elle venue aujourd’hui même ? C’est ce qu’on ne saurait croire lorsqu’on parcourt