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celle-ci et qui n’étaient peut-être que d’anciennes traditions locales, rendirent la fusion plus facile ; les Samaritains grandirent en importance morale et numérique, et pendant longtemps Garizim continua à soutenir contre Jérusalem une concurrence passionnée. Deux cents ans plus tard, Jean Hyrcan devait détruire le temple de Garizim sans parvenir à rétablir l’unité de la foi. Tandis que tous les autres sanctuaires étaient tombés peu à peu sous la malédiction des prophètes, tandis que le culte s’était centralisé vigoureusement à Jérusalem, une fraction dissidente subsista donc jusqu’au bout à Sichem. Elle y subsiste encore au pied même du mont Garizim, sur lequel on ne voit plus que quelques ruines de l’ancien temple. Si faible qu’il soit, ce débris d’une antique hérésie a résisté à toutes les aventures. En 1202, Naplouse fut renversée par un tremblement de terre; le quartier des Samaritains seul resta debout : image exacte de la persistance avec laquelle ce reste infime d’une race perdue a survécu aux plus grandes catastrophes.

L’heure cependant semble prochaine où cette branche persistante de la famille sémitique disparaîtra complètement. Les persécutions, la misère, le prosélytisme des sectes plus puissantes menacent à chaque instant sa frêle existence. En 1820, les Samaritains étaient encore au nombre d’environ cinq cents. Robinson, qui visita Naplouse en 1838, n’en trouva plus que cent cinquante, et ce nombre a certainement diminué depuis. Les renseignemens que j’ai pris sont trop contradictoires pour que je me permette de les donner avec assurance. Les uns m’ont dit que les Samaritains étaient encore au nombre de deux cents, les autres au nombre de quatre-vingt-quinze seulement. Dans la supplique qu’ils adressèrent en 1842 au gouvernement français, ils avouaient qu’ils étaient réduits à quarante familles. Une légende populaire, que m’a racontée mon drogman et que plusieurs autres personnes m’ont confirmée, prétend même qu’ils ne sont que quarante; dès que l’un d’eux naîtrait, un ancien mourrait pour que le nombre fatidique ne fût pas dépassé. Singulière académie où la vue d’une femme grosse produirait sur chacun des membres qui la composeraient l’effet d’un : « Frère, il faut mourir ! » j’imagine que, si la légende était vraie, des règlemens sévères interdiraient de mettre des enfans au monde et qu’en renonçant aux plaisirs de la famille, les quarante Samaritains s’assureraient à eux-mêmes une immortalité plus réelle que celle que donnent les académies. Malheureusement les Samaritains n’ont pas mieux découvert que nous tous le secret d’échapper à la mort. Le quartier qu’ils habitent à Naplouse est l’un des plus écartés de la ville. On s’y rend à travers une série de ruelles noires et malpropres que l’on ne traverse pas sans dégoût. En arrivant, on est payé de sa peine par