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sont passés tant de miracles. « Ne cherchez point Bethel, disait le prophète Amos; n’allez point à Galgala et ne passez pas à Bersabée, parce que Galgala sera emmenée captive, et Bethel réduite à rien. » La prophétie s’est réalisée à la lettre. La seule ruine qu’on rencontre à Bethel est celle d’une église qui, d’après saint Jérôme, avait été élevée à la place où Jacob eut le songe de l’échelle mystérieuse. Les croisés, après l’avoir restaurée, la dédièrent, je ne sais pourquoi, à saint Joseph. Le prophète a eu raison de dire : « Ne cherchez point Bethel ! » Comment reconnaître dans ce site sauvage, triste, nu, le lieu béni où le patriarche vit une communication s’établir entre le ciel et la terre, et les anges servir d’intermédiaires entre l’homme et Dieu ! Hélas ! l’échelle mystérieuse est brisée depuis longtemps, les échelons en sont dispersés aux quatre coins du monde ; lorsque l’humanité s’efforce de gravir de nouveau l’espace qui la sépare de l’inconnu, elle ne trouve plus, comme Jacob, des marches pour poser ses pieds et des anges pour la soutenir dans son ascension. De Bethel, on descend à Jifna, gros village situé au fond d’une agréable vallée. C’est là qu’on peut coucher, soit sous des tentes, soit chez le curé du village, qui vous reçoit très bien. Les environs de Jifna n’ont rien de bien remarquable ; on y montre un arbre sous lequel la vierge Marie se reposait dans ses voyages à Jérusalem et une montagne nommée la montagne du Coq, à cause de la légende que voici. Un habitant de Gofna (nom antique de Jifna) qui se trouvait à Jérusalem pendant la passion de Jésus, étant de retour dans son pays, en racontait à ses compatriotes, devant sa femme qui plumait un coq, les circonstances miraculeuses. Tous crurent d’abord a sa parole, mais lorsqu’il en arriva au récit de la résurrection, sa femme lui répondit : « Ce que vous dites là est si peu croyable qu’alors même que le coq que je plume en ce moment reviendrait à la vie, je n’y croirais pas. » Aussitôt l’animal s’échappa des mains de celle qui le plumait. La femme incrédule dut courir jusque sur le sommet d’une montagne pour le rattraper. C’est ce qui a fait nommer cette montagne la montagne du Coq. Je doute que les coqs actuels de Jifna échappent tout plumés aux mains des ménagères, mais ils chantent à tue-tête durant la nuit pour égayer les voyageurs fatigués. Au lever du jour, ils chantent encore : c’est le moment de partir. La vallée de Jifna est plongée dans une légère vapeur gris perle, d’une transparence exquise, qui estompe mollement tous les objets. En la quittant, on grimpe sur des collines dont la pente est très raide, puis on passe par une série de vallées, plus riantes les unes que les autres, où de beaux fellahs labourent lentement la terre. Je me rappelle, en particulier, la plus charmante d’entre elles, une sorte de cirque gracieusement entouré de coteaux