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de forces. Je n’en puis plus… L’action que je fais est infâme. Si je pouvais vous entraîner à partager mon crime, je le ferais au péril de ma vie, de mon honneur public ; rien ne me coûterait pour vous arracher à l’homme dont je serre la main et qui vous aime, lui, autant que moi peut-être. Vous voyez bien que je ne suis qu’un malheureux digne de vos mépris… Et cependant !… oh ! si vous pouviez m’aimer ! oui, j’ai cette audace, oui, je vous crie : Aimez-moi, par pitié ! Vous voyez bien que je suis fou, madame !… Alice !… Alice !… écoutez-moi, le vertige dérobe la chute… laissez-vous entraîner… Ne frissonnez pas, le crime a sa grandeur !… Oh ! si vous m’aimiez, nous porterions notre infamie comme un manteau de roi !’

— Taisez-vous… lui dit-elle d’une voix méconnaissable, je ne puis plus vous entendre… vous me troublez… Songez où nous sommes. Isolés et perdus dans le tumulte du bal, ils pouvaient parler sans être entendus : mais ils s’offraient aux regards de tons. Et quelque habitude que l’on ait de ces attitudes mondaines à l’aide desquelles on dérobe tant de conversations étranges, on ne saurait toujours empêcher qu’une émotion violente ne bouleverse un visage et n’arrache le masque le mieux attaché.

Alice et Bernard se taisaient, essayant de ramener sur leurs traits et dans leurs regards le calme qui les avait fuis. Le quadrille s’achevait. Encore quelques mesures, et on allait les séparer.

Bernard se leva.

— Si vous ne devez pas m’aimer, dit-il lentement, je voudrais être mort comme celui que vous regrettez.

Elle le regarda :

— Nous nous sommes dit des choses très franches et qui m’ont mise à l’aise. J’aime l’audace jusque dans le mal. Je crois que la franchise est une vertu : on ne trompe personne ainsi. Je ne mentirai pas : vous m’attirez… Il y a un trouble inouï dans mes pensées. Vous, lui, des idées nouvelles, de regrettés souvenirs, tout cela tourne, lutte dans mon esprit, peut-être dans mon cœur. Je ne sais plus si c’est lui ou si c’est vous que j’aime ; mais il me semble qu’un sentiment inconnu s’est éveillé en moi… Je le sens, je vis… Ils n’étaient plus seuls.

George de Peyrebrune.

(La quatrième partie au prochain n°.)